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Risques pour la santé et la sécurité au travail chez le personnel essentiel du secteur de la santé à Katmandou

La devanture d'un hôpital de Katmandou - Crédit : Nehal Singh
Le système de santé du Népal souffre d’un manque de considération pour ses travailleurs et les travailleurs essentiel.les. Pourtant, la littérature scientifique et les rapports d’organismes non gouvernementaux peuvent beaucoup aider à proposer des solutions pour mieux protéger le personnel de la santé confronté à des risques envers la santé mentale et physique.

Les politiques officielles du Népal en matière de santé et de sécurité au travail (SST) sont bien formulées au niveau national, mais leur mise en œuvre sur le terrain, en particulier à Katmandou, reste très imparfaite. Le personnel de la santé est quotidiennement confronté à un réseau complexe de risques biologiques, chimiques et ergonomiques, mais ces risques sont souvent méconnus par les institutions et sous-déclarés par les travailleurs et travailleuses. Marasini et al. (2023)1 ont montré que plus de 88 % du personnel de la santé à Katmandou est confrontés à des risques biologiques, tandis que les programmes de sensibilisation de l’hôpital de Dhulikhel révèlent une absence alarmante de protocoles et d’équipements d’urgence dans les zones rurales (Hospital, 2023)2. Cette recherche, qui utilise des méthodes mixtes, explore les réalités vécues par le personnel essentiel des services de santé afin de comprendre pourquoi les politiques ne se traduisent pas dans la pratique. Des entretiens qualitatifs et des données quantitatives ont été triangulés pour mettre en évidence les vulnérabilités systémiques, notamment la surcharge de travail, l’insécurité des infrastructures et la faiblesse de la responsabilité institutionnelle. L’étude présente ces risques professionnels non pas comme des problèmes isolés, mais comme des manifestations d’échecs plus larges en matière de gouvernance et d’équité dans le système de santé népalais.

Le fossé entre la politique et la pratique découle en grande partie d’un manque de sensibilisation et d’appropriation institutionnelle des principes de la santé et de la sécurité au travail, tant chez les responsables que chez les travailleurs et travailleuses de première ligne. De nombreux et nombreuses professionnel.les de la santé considèrent la santé et la sécurité au travail comme une exigence de conformité externe plutôt que comme un droit fondamental lié à leur dignité et à leur bien-être. Cette perception est aggravée par le manque d’éducation du public, l’absence de programmes de formation et la faiblesse des structures de communication interne au sein des établissements de santé. Les travailleurs et travailleuses de la santé n’ont souvent pas accès à des gants, à des outils ergonomiques ou même à des équipements de protection individuelle (EPI) de base, en particulier dans les centres de santé publics et ruraux. Cette normalisation du risque a favorisé une culture où les environnements dangereux sont acceptés comme faisant partie du travail. Tant que la santé et la sécurité au travail ne seront pas considérées comme une valeur institutionnelle partagée, les efforts de mise en œuvre resteront symboliques et inefficaces.

Les conséquences de cette négligence vont au-delà de la santé physique et ont des répercussions importantes sur la santé mentale, les travailleurs et travailleuses étant confronté.es à l’épuisement émotionnel et professionnel et à l’anxiété. Shah et al. (2024)3 et Bhusal et al. (2023)4 font état de taux d’épuisement professionnel supérieurs à 60 % parmi les travailleurs et travailleuses de la santé népalais, en particulier ceux et celles qui travaillent dans des environnements à forte pression et à faibles ressources. La stigmatisation culturelle autour de la santé mentale supprime encore davantage le dialogue ouvert, laissant le personnel de la santé sans systèmes de soutien appropriés ou sans voies sûres pour signaler la détresse psychologique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) (2020)5 a affirmé que la sécurité des travailleurs et travailleuses de la santé, y compris le bien-être mental, est essentielle pour des systèmes de santé sûrs et résilients. Au Népal, cependant, la santé mentale reste exclue des cadres de santé et de sécurité au travail, ce qui en fait une épidémie silencieuse au sein de la main-d’œuvre. Si ces dimensions psychosociales ne sont pas prises en compte, toute stratégie de santé au travail reste fondamentalement incomplète.

De mauvaises pratiques en matière de santé et de sécurité au travail augmentent également les risques de maladies chroniques non transmissibles (MNT) chez les professionnel.les de la santé, notamment l’hypertension, le diabète et les troubles musculo-squelettiques. Aryal et al. (2015)6 ont constaté que les professionnel.les de la santé népalais.es, en particulier dans les cliniques urbaines et rurales, présentaient une prévalence élevée de facteurs de risque de MNT directement liés au stress professionnel et à des conditions de vie inadéquates. De longues heures de travail, un repos insuffisant et une mauvaise alimentation exacerbent ces conditions, en particulier dans les établissements où les travailleurs et travailleuses desservent des populations de taille disproportionnée. L’absence de conception ergonomique, d’examens professionnels et de programmes de bien-être compromet encore davantage la viabilité à long terme de la main-d’œuvre. À mesure que les maladies chroniques augmentent chez le personnel de la santé, leur capacité à fournir des soins cohérents diminue, ce qui crée une boucle de rétroaction négative pour l’ensemble du système de santé. Les cadres de santé et de sécurité au travail doivent être élargis pour inclure des stratégies de prévention des risques liés au mode de vie, en plus des dangers immédiats pour la sécurité.

Les causes profondes de ces échecs ne sont pas seulement financières, mais aussi institutionnelles, car la faiblesse des mécanismes d’application a rendu les lois népalaises sur la santé et la sécurité au travail largement symboliques. Kattel (2021)7 a fait état d’une sous-déclaration généralisée de la violence sur le lieu de travail et d’un manque de suivi en raison de l’insuffisance des structures de protection des rapports. Les employeurs absorbent souvent les amendes liées à la santé et à la sécurité au travail comme des coûts opérationnels plutôt que de réformer les systèmes pour prévenir de futures violations. Ce manque de dissuasion se traduit par une négligence persistante des protocoles de sécurité, même dans les établissements qui connaissent des incidents récurrents. L’étude plaide en faveur d’une répression fondée sur le comportement, y compris la suspension du permis de conduire et des formations de remise à niveau obligatoires pour les récidivistes. Ces modèles ont fait leurs preuves dans d’autres secteurs, comme la gestion du trafic, et pourraient être adaptés aux soins de santé moyennant une supervision appropriée. L’institutionnalisation de la responsabilité est essentielle pour garantir un changement significatif de la culture de la santé et de la sécurité au travail.

Cette étude a utilisé le modèle socio-écologique (MES) pour comprendre comment les risques liés à la santé et à la sécurité au travail se manifestent à plusieurs niveaux, du comportement individuel et de la dynamique des pairs aux politiques institutionnelles et à la législation nationale. Grâce à des entretiens avec 15 agents de santé de première ligne, six universitaires spécialistes de la santé publique et trois gestionnaires, l’étude a mis en évidence des schémas cohérents d’apathie organisationnelle, de formation médiocre et de distribution inégale des ressources. Ces résultats ont été renforcés par des données secondaires, notamment celles de Marasini et al. (2023)8 et de Bhusal et al. (2023)9, qui ont documenté l’exposition systémique aux risques biologiques et à la violence sur le lieu de travail. Les participants aux groupes de discussion ont également cité l’irrégularité de la communication et le manque de participation à la prise de décision comme des problèmes fondamentaux. L’approche MES a permis à la recherche de mettre en évidence non seulement les problèmes, mais aussi les leviers de réforme interconnectés. En intégrant à la fois des récits qualitatifs et des repères quantitatifs, l’étude présente un cadre solide pour le changement systémique.

La préparation aux situations d’urgence est l’une des lacunes institutionnelles les plus mises en évidence par l’étude. Malgré la vulnérabilité de Katmandou aux séismes et autres catastrophes naturelles, les établissements de santé organisent rarement des exercices, n’ont pas de protocoles d’évacuation et n’offrent pas de formation formelle à la résilience aux catastrophes à leur personnel. Le BMJ Public Health (2024)10 a constaté que les scores de stress professionnel étaient nettement plus élevés chez les travailleurs et travailleuses n’ayant pas reçu une telle formation, ce qui renforce encore l’urgence d’une préparation institutionnelle. Plusieurs personnes interrogées ont admis qu’elles ne sauraient pas quoi faire en cas d’urgence majeure, soulignant le danger d’une planification réactive plutôt que proactive. Cette négligence met en danger à la fois le personnel et les patients et sape la confiance du public dans les établissements de santé. Pour être efficaces, les systèmes de santé et de sécurité au travail doivent inclure une planification d’urgence de routine en tant que norme opérationnelle de base. Sans préparation, même les systèmes de santé les mieux intentionnés deviennent des boulets dans les situations de crise.

Les solutions potentielles doivent être ancrées dans la collaboration et l’autonomisation locale, en commençant par des mécanismes de suivi participatif dirigés par la communauté. Prajapati et al. (2023)11 ont souligné que lorsque le personnel de la santé participe aux audits de sécurité et aux évaluations des risques, le respect des normes de santé et de sécurité au travail s’améliore considérablement. La participation en première ligne renforce l’appropriation et facilite le développement de systèmes de responsabilisation par les pairs, tels que les boucles de rétroaction anonymes et les programmes de champions de la sécurité. Ces interventions peu coûteuses et à fort impact sont conformes aux mandats de NEDI Nepal et d’Alternatives Montréal, qui prônent tous deux des approches décentralisées et fondées sur les droits en matière de santé publique. Le fait de donner aux travailleurs et travailleuses de la santé les moyens de co-concevoir les protocoles de sécurité garantit que les réformes ne sont pas seulement mises en œuvre, mais qu’elles sont maintenues dans le temps. La participation n’est pas seulement éthique, elle est stratégique.

Les technologies numériques offrent également un moyen puissant d’améliorer le suivi et la réponse en matière de santé et de sécurité au travail dans le secteur de la santé au Népal. Les applications mobiles, les plateformes basées sur les SMS et les outils de reporting en ligne peuvent fournir des données en temps réel sur les risques, le bien-être du personnel et les pénuries d’équipement. Ces systèmes ont fait leurs preuves au niveau international en augmentant les taux de signalement et en améliorant les délais d’intervention. Au Népal, où la couverture mobile s’est étendue même dans les zones rurales, de telles plateformes sont non seulement réalisables mais nécessaires. Leur mise en œuvre nécessiterait une formation et des investissements dans les infrastructures, éventuellement par le biais de partenariats de responsabilité sociale des entreprises avec des fournisseurs de télécommunications. L’intégration de l’innovation numérique dans la sécurité sanitaire s’aligne sur l’engagement d’Alternatives Montréal en faveur d’une infrastructure numérique accessible et fondée sur les droits. La technologie, si elle est utilisée de façon réfléchie, peut être un outil de transformation pour la transparence et la résilience.

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) reste une ressource sous-utilisée mais qui pourrait changer la donne en matière d’amélioration de la sécurité des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé. Les entreprises peuvent fournir des EPI, financer des programmes de bien-être ou coparrainer des formations à la sécurité, complétant ainsi les budgets limités de la santé publique. Les modèles canadiens de RSE auxquels j’ai participé, tels que le programme Burger of the month de Cilantro and Chives (C&C, 2025)12 et le programme Alberta Health Services (AHS, 2025)13, qui offre une reconnaissance et une réduction aux travailleurs de la santé et aux bénévoles en collaboration avec Canadian Tire, ont démontré que de tels partenariats peuvent générer une valeur partagée lorsqu’ils sont correctement réglementés et reconnus par le public. L’offre d’incitations fiscales ou d’avantages en matière d’approvisionnement peut encourager les entreprises locales à soutenir l’infrastructure de santé communautaire. Cette approche est conforme à l’éthique de collaboration de NEDI Nepal et d’Alternatives Montréal, qui promeuvent la coopération intersectorielle comme un élément clé du développement durable. La RSE n’est pas simplement de la charité, c’est un investissement dans le bien public.

La mise en œuvre d’une politique décentralisée et adaptative est apparue comme une recommandation clé des entretiens qualitatifs menés dans le cadre de l’étude. Les responsables locaux des soins de santé doivent disposer de l’autorité et des ressources nécessaires pour adapter les protocoles de santé et de sécurité au travail à leurs contextes spécifiques, plutôt que de s’appuyer sur des mandats nationaux rigides. Des fonds flexibles réservés à l’amélioration de la sécurité au niveau de l’établissement peuvent garantir des réponses opportunes et pertinentes aux risques émergents. Ces stratégies décentralisées doivent néanmoins s’inscrire dans un cadre national normalisé afin de préserver la cohérence et l’équité. Une telle gouvernance adaptative est soutenue par l’accent mis par l’INED Népal sur les politiques sensibles au contexte et par l’engagement d’Alternatives Montréal en faveur d’un développement mené par la communauté. Le renforcement du leadership local favorise l’appropriation, la réactivité et la viabilité à long terme.

En conclusion, la sécurité du personnel de la santé au Népal n’est pas seulement un impératif moral, mais une nécessité stratégique pour un système de santé résilient. La négligence persistante de la sécurité et de la santé au travail nuit au personnel, réduit la qualité des services et sape la confiance du public dans les institutions de santé. L’étude recommande des réformes sur plusieurs fronts, notamment des mécanismes d’application plus solides, l’innovation numérique, la participation des communautés, la collaboration avec le secteur privé et la gouvernance décentralisée. Ces solutions permettent non seulement de faire face aux risques existants, mais aussi de jeter les bases d’un système de santé plus sûr et plus équitable. Les gouvernements, les institutions et la société civile doivent travailler en tandem pour transformer la rhétorique politique en une protection tangible. Ce n’est qu’en mettant l’accent sur la dignité et la sécurité des travailleurs et travailleuses que le Népal pourra construire un système de santé véritablement durable et juste.

 

Références

1. Marasini, R., Shrestha, P., & Chaudhary, Y. (2023). Occupational health and safety hazards faced by health care professionals in Kathmandu based hospital: a cross-sectional analytical study. International Journal of Community Medicine and Public Health. https://doi.org/10.18203/2394-6040.ijcmph20230210

2. Hospital, D. (2023). Outreach centers and rural health services. Récupéré de: https://dhulikhelhospital.org/department-of-community-programs-and-public-health/

3. Shah, S. K., Sinha, R., Neupane, P., & Kandel, G. (2024). Burnout among Nurses and Doctors Working at a Tertiary Care Government Hospital: A Descriptive Cross-sectional Study. National Library of Medicine. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC11261546/

4. Bhusal, A. A. (2023). Workplace violence and its associated factors among health care workers of a tertiary hospital in Kathmandu, Nepal. National Library of Medicineé. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0288680

5. World Health Organization. (2020). Health worker safety: A priority for patient safety. : https://www.who.int/docs/default-source/world-patient-safety-day/health-worker-safety-charter-wpsd-17-september-2020-3-1.pdf

6. Aryal, K. K. (2015). The Burden and Determinants of Non Communicable Diseases Risk Factors in Nepal: Findings from a Nationwide STEPS Survey. PLOS ONE. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0134834

7. Kattel, P. (2021). Workplace Violence in Health Care Settings of Nepal. Research Gate. https://www.researchgate.net/publication/366896650_Workplace_Violence_in_Health_Care_Settings_of_Nepal

8. Marasini, R., Shrestha, P., & Chaudhary, Y. (2023). Occupational health and safety hazards faced by health care professionals in Kathmandu based hospital: a cross-sectional analytical study. International Journal of Community Medicine and Public Health. https://doi.org/10.18203/2394-6040.ijcmph20230210

9. op. cit.

10. Suchana Thapa, Pranil Man Singh Pradhan. (2024). Occupational stress and its correlates among healthcare workers of a tertiary level teaching hospital in Kathmandu, Nepal, during COVID-19 pandemic: a cross-sectional study: BMJ Public Health. 2024;2:e000126.

11. Prajapati, R. G. (2023). Status of Occupational Health and Safety in Nepal: Current Scenario and Strategies for Improvement. Journal of Multidisciplinary Research Advancements. https://doi.org/10.3126/jomra.v1i2.61194

12. C&C. (2025). Cilantro and Chive. Récupéré de Burger of the Month: https://cilantroandchive.ca/blog/category/lacombe/lacombe-burger-of-the-month/

13. AHS. (2025). Alberta Heath Services. Récupéré de Benefits and Discount: https://www.albertahealthservices.ca/careers/page12210.aspx