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Marées montantes, rétrécissement des côtes et droits qui s’effondrent : la crise climatique et les luttes des pêcheurs

Crédit photo : Al Loyd CC BY 2.0 via Flickr - https://flic.kr/p/oNuZkr

Pour les 600 millions de pêcheurs dans le monde, la crise climatique ne représente pas seulement une menace future, mais une violation immédiate et quotidienne de leurs droits humains les plus fondamentaux. La montée des marées, le réchauffement climatique et l’acidification des eaux, ainsi que les conditions météorologiques extrêmes détruisent les écosystèmes dont dépendent les pêcheurs et les communautés côtières autochtones pour leur alimentation, leurs moyens de subsistance, leur identité et leur autodétermination.

Un nouveau rapport conjoint publié par le World Forum of Fisher Peoples (WFFP) et FIAN International montre comment les perturbations climatiques, aggravées par l’exploitation industrielle et la négligence des États, violent systématiquement les droits humains des peuples pêcheurs et des communautés côtières autochtones à travers le monde. S’appuyant sur des études de cas fondées sur des témoignages de communautés de 10 pays d’Asie1, d’Afrique et des Amériques, le rapport révèle sept domaines interdépendants de la crise climatique :

  1. Effondrement des écosystèmes
  2. Crise de la souveraineté alimentaire
  3. Déplacement territorial
  4. Dévastation économique
  5. Perturbations sociales
  6. Perte culturelle et perte de savoir-faire
  7. Impacts liés au genre

Ce rapport sert à la fois à mettre en évidence le prix élevé payé par les populations les plus vulnérables de la planète et à appeler à une action mondiale immédiate en faveur d’une justice climatique fondée sur les droits humains, la reconnaissance officielle des droits territoriaux coutumiers, une participation inclusive et significative à l’élaboration des politiques, le soutien aux systèmes de gouvernance communautaires, l’indemnisation et la réparation adéquates, et des politiques climatiques sensibles au genre.

Droit à des moyens de subsistance : effondrement des revenus et déplacements forcés

Les perturbations climatiques à travers le monde provoquent l’effondrement des écosystèmes, avec des défaillances en cascade entraînant une chute des revenus et le déplacement forcé des populations de pêcheurs vulnérables et des communautés côtières autochtones, menaçant ainsi de faire disparaître des modes de vie entiers.

Le réchauffement des océans entraîne la mort massive d’animaux marins et des sources de nourriture dont ils dépendent, provoquant à son tour l’effondrement des écosystèmes et la perte à long terme des stocks de poissons. Ces communautés ont signalé une forte baisse de leurs revenus en raison de la baisse de productivité des eaux, ce qui pousse nombre d’entre elles à recourir à des pratiques non durables pour augmenter leurs profits à court terme ou à se tourner vers d’autres secteurs d’activité, tels que la construction ou le travail occasionnel. La destruction d’équipements ou de maisons due à des tempêtes plus violentes, à des eaux imprévisibles et à l’érosion côtière aggrave l’impact économique, plongeant les familles dans la pauvreté ou les déplaçant complètement.

Lorsque les pêcheurs sont déplacés ou relogés, ils sont souvent confrontés à des violations de leurs droits en raison de la négligence du gouvernement ou de l’échec des politiques mises en place. Les sites de réinstallation manquent souvent d’infrastructures, d’opportunités de subsistance ou de reconnaissance des liens et pratiques culturels. Il s’agit là de violations flagrantes du droit au travail (article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) et du droit à un logement convenable (article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels).

Les interventions gouvernementales au nom de la protection écologique sont souvent de fausses solutions. L’imposition de zones marines protégées (ZMP) sans consultation des pêcheurs et des communautés côtières autochtones sert souvent à les exclure des zones de pêche productives, violant ainsi leurs droits fonciers coutumiers et affectant gravement leurs moyens de subsistance. La promotion de l’aquaculture industrielle, tout en stimulant la production de fruits de mer sans augmenter les taux de capture dans nos océans, se traduit en grande partie par la mainmise des entreprises sur les eaux communes, la pollution industrielle des eaux côtières et la propagation de maladies des stocks d’élevage aux populations sauvages.

Droit à la santé : eaux empoisonnées et systèmes défaillants

La contamination de l’eau représente une menace immédiate et à long terme pour la santé, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des pêcheurs et des communautés côtières autochtones. Au Bangladesh et au Sri Lanka, la salinisation et la pollution industrielle contaminent les sources d’eau potable et détruisent les écosystèmes d’eau douce et côtiers. L’augmentation proportionnelle des maladies d’origine hydrique et de l’exposition aux sous-produits toxiques et aux émissions entraîne des risques sanitaires accrus, aggravant ainsi les problèmes. La santé mentale des pêcheurs est également gravement affectée par un stress accru et un sentiment d’impuissance, conduisant à la dépression, à l’alcoolisme, à une augmentation des taux de violence domestique, à des actes de violence envers soi-même ou autrui, ou au suicide.

L’insécurité alimentaire due à la perte de la souveraineté alimentaire oblige à son tour les communautés vulnérables à dépendre davantage des aliments transformés, ce qui nuit à leur nutrition et rompt leurs liens avec des régimes alimentaires importants sur le plan culturel. Le poids de la pression économique est supporté de manière disproportionnée par les enfants, qui souffrent de malnutrition sévère et voient leurs résultats scolaires baisser, ou qui sont contraints d’abandonner l’école pour travailler afin d’aider à subvenir aux besoins de leur famille. Les femmes sont également confrontées à des exigences accrues en matière de soins et à la perte d’emplois dans le secteur de la transformation des produits de la mer (qui tend à être un rôle attribué en fonction du genre dans les familles de pêcheurs), ce qui aggrave les inégalités entre les sexes et les inégalités de revenus, ce qui conduit à son tour à la perte du pouvoir de décision des femmes et de leur reconnaissance au sein de la famille.

Échecs des États et complicité des entreprises

Dans leur quête du développement économique, les gouvernements nationaux et infranationaux ont tendance à privilégier les grands projets d’infrastructure – souvent présentés comme des projets d’« économie bleue » – et le tourisme au détriment des besoins des communautés marginalisées. Des projets tels que Colombo Port City au Sri Lanka, le projet pétrolier LAPSSET/Lamu Port-linked South Lokichar dans le nord du Kenya et le tourisme côtier financé par la Banque mondiale dans la station balnéaire de Saly au Sénégal risquent de détruire les écosystèmes côtiers, de déplacer les pêcheurs et les communautés côtières autochtones et de violer les droits des plus vulnérables.

Les fausses solutions telles que le projet de digue géante Java Giant Sea Wall en Indonésie et les programmes de crédits carbone écologiques au Sri Lanka, au Belize et en Thaïlande risquent d’entraîner le déplacement et l’exclusion des pêcheurs de leurs territoires coutumiers, des dommages environnementaux involontaires, et privilégient souvent les profits des entreprises ou de l’industrie au détriment des droits des communautés locales. Ces solutions et les plans d’adaptation climatique des États en général sont souvent mis en œuvre sans consultation ni participation des pêcheurs et des communautés côtières autochtones. En excluant ces populations marginalisées, les États risquent de violer leurs obligations au titre de l’article 11 du PIDESC, des articles 5 et 17 de la Convention des Nations unies sur les droits des personnes autochtones, des articles 25 et 26 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et du préambule et de l’article 7 de l’Accord de Paris. Ces interventions des États et des entreprises ont tendance à violer le principe du consentement libre, préalable et éclairé (FPIR) des communautés dans lesquelles elles opèrent ; les États violent ainsi leurs propres engagements internationaux, tels que ceux pris dans le cadre des Directives volontaires sur la gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, aux forêts et aux zones halieutiques (VGGT) et des Directives volontaires pour la pêche durable (VGSSF) adoptées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Résistance et revendications pour la justice

Malgré ces menaces, les pêcheurs et les communautés côtières autochtones sont loin d’être des victimes passives du changement climatique ; ils et elles sont en première ligne, résistant aux fausses solutions imposées et défendant leurs propres stratégies communautaires fondées sur les droits humains pour faire face à la crise climatique.

Les efforts de restauration des mangroves menés par les pêcheurs et les groupes autochtones au Bangladesh, en Équateur, en Thaïlande, au Sri Lanka et au Sénégal se sont avérés efficaces pour défendre leurs moyens de subsistance et leurs pratiques traditionnelles tout en constituant une défense vitale contre le changement climatique. Ces projets rejettent le modèle traditionnel des crédits carbone au profit d’une gestion communautaire et d’une restauration de la biodiversité qui vont au-delà de la monoculture standardisée. Les organisations d’entraide, les coopératives dirigées par des femmes, les négociations collectives, les manifestations de masse et les actions en justice contre les interventions injustes des gouvernements et l’accaparement des terres par les entreprises sont autant de moyens dont disposent ces communautés pour riposter et promouvoir des solutions inclusives, résilientes et durables.

En s’appuyant sur ces solutions, les États doivent reconnaître les droits coutumiers des pêcheurs et des communautés côtières autochtones dans leurs législations nationales. Les États doivent également indemniser les communautés touchées pour les pertes climatiques et investir dans l’adaptation locale plutôt que dans des impositions descendantes. Enfin, ils devraient interdire/cesser la promotion de fausses solutions et le greenwashing d’activités lucratives nuisibles à l’environnement.

Appel à une action climatique fondée sur les droits humains

Dans un monde qui se réchauffe rapidement, l’érosion des droits des pêcheurs est un test décisif pour la justice climatique mondiale. Il est temps d’agir : les citoyens du monde entier doivent soutenir les mouvements populaires qui luttent pour la justice climatique et les droits humains, faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils respectent et défendent leurs obligations en matière de droits humains, et placer les connaissances traditionnelles au cœur des politiques et des interventions climatiques.

Le WFFP et FIAN International appellent instamment les gouvernements et les organisations internationales à prendre les mesures suivantes :

  1. Mettre en œuvre une justice climatique fondée sur les droits humains
  2. Reconnaître et soutenir les droits fonciers coutumiers des pêcheurs sur les territoires, les plans d’eau et leurs écosystèmes
  3. Garantir une participation significative des communautés de première ligne à l’élaboration des politiques, et ne pas se contenter de cocher des cases
  4. Reconnaître et soutenir les systèmes de gouvernance des pêches dirigés par les communautés en leur apportant un soutien financier et en les légalisant en tant que solutions authentiques
  5. Fournir une indemnisation et des réparations adéquates aux victimes de la crise climatique et prendre les mesures de précaution et d’atténuation nécessaires pour assurer l’avenir des communautés côtières et riveraines vulnérables
  6. Mettre en œuvre des politiques climatiques sensibles au genre, respecter les connaissances traditionnelles et pratiques des communautés de pêcheurs et écouter les personnes dévouées sur le terrain afin de mettre en œuvre des solutions résilientes au changement climatique

Le temps et la marée n’attendent personne. Seule une action immédiate peut atténuer et inverser les dommages causés par la crise climatique aux populations les plus vulnérables du monde. Dans cet esprit, les pêcheurs du monde entier appellent de concert à un changement systémique immédiat et à la lutte contre le changement climatique. Les dirigeants mondiaux et les décideurs politiques qui se seront réunis à Belém, au Brésil, pour la COP-30, devront prêter immédiatement attention aux voix des communautés en première ligne, qui sont les plus vulnérables dans le cadre des systèmes de développement actuels dirigés par les entreprises.

LES PEUPLES DE PÊCHEURS DU MONDE ENTIER RÉCLAMENT À LA COP 30, À BELÉM, AU BRÉSIL : UN CHANGEMENT SYSTÉMIQUE, PAS UN CHANGEMENT CLIMATIQUE !!

 

Notes 

1. Bangladesh, Belize, Brazil, Ecuador, Indonesia, Kenya, Senegal, South Africa, Sri Lanka, and Thailand are the 10 countries (4 from Asia, 3 from Africa and 3 from Latin America and Caribbean regions) in which WFFP member organizations engaged in research, advocacy, and communication activities during the Sea Level/ Water Level Rise study proces.