Blogue des stagiaires

À la croisée des intersections: le combat des femmes autochtones handicapées au Népal

Dipika Lama
La National Indigenous Disabled Women Association Nepal (NIDWAN) est une organisation nationale qui cherche à promouvoir les droits de la personne, des femmes et des filles autochtones avec des handicaps. Elle s’inscrit dans une approche intersectionnelle analysant les inégalités sociales, économiques et institutionnelles que vivent ces personnes, tout en cherchant à défendre leurs droits et à restituer leur autodétermination au sein de la société népalaise.

J’ai eu la chance de rencontrer Dipika Lama pour lui poser quelques questions dans le cadre d’un travail de recherche sur les discriminations vécues par les populations marginalisées en agriculture. Dipika Lama est une personne clé de NIDWAN de la province Madhesh et est une fervente activiste pour tout ce qui a trait à la reconnaissance des droits des femmes autochtones handicapées. Nous avons pu discuter des discriminations et des difficultés auxquelles fait face cette population dans la société népalaise.

Le Népal est notamment reconnu pour ses nombreux groupes ethniques, ses cultures, ses langues et sa diversité géographique, avec 126 castes et 123 langues, dont 90% sont parlées par les peuples autochtones1. La population autochtone constitue 35.81% de la population totale2, mais est sous-représentée dans les milieux administratifs, politiques et constitutionnels, ce qui signifie que sa voix est rarement entendue dans les processus de prise de décision. Le pays compte 700 000 femmes autochtones avec des handicaps3.

En 2007, le Népal a ratifié la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) visant à promouvoir et à protéger leur existence et leur culture4. La Convention nº169 relative aux peuples indigènes et tribaux des Nations unies (1989) a également été ratifiée par le Népal. Cette convention reconnaît l’autodétermination des peuples autochtones à avoir un contrôle complet de leurs institutions, leurs modes de vie et leur développement économique, autant que le droit de développer leurs identités, leurs langues et leurs religions5. Le Népal a créé The Act Relating To Rights of Persons with Disabilities, 20746, qui garantit l’amendement et la consolidation des lois relatives aux droits des personnes avec des handicaps. Cependant, les provisions garanties par ces déclarations n’ont pas encore été appliquées dans les lois nationales du pays, car les mécanismes d’application de ces conventions n’ont pas encore été créés. Ce faisant, les peuples autochtones sont encore en attente d’une nouvelle Convention du Népal qui favorise la condition des peuples autochtones, espérant que celle-ci prônera leur reconnaissance et leur protection. De plus, une approche intersectionnelle relative aux discriminations vécues n’a pas été intégrée dans la création de ces conventions, ce qui complique la défense des droits des femmes autochtones avec des handicaps. Le Népal a donc ratifié de nombreuses conventions sur les droits de la personne, mais continue d’adopter une politique linéaire monolithique, qui ne prend pas en considération l’intersectionnalité des discriminations.

Lors de notre rencontre, Dipika a su expliquer les nombreux problèmes auxquels les femmes et les filles autochtones avec des handicaps sont confrontées au Népal; notamment les défis que pose l’intersection de ces trois formes de discrimination. Premièrement, les groupes autochtones sont exclus de la culture majoritaire du pays, ce qui représente donc un enjeu de taille pour la préservation de leur identité culturelle. Ces populations sont confrontées à de nombreuses discriminations en raison de leurs langues et de leurs cultures, même dans les services sociaux et gouvernementaux, où elle fait face à des barrières administratives, linguistiques et culturelles. Ces obstacles compromettent l’accès à des services publics justes, équitables et adaptés aux besoins des individus autochtones. Ces barrières institutionnelles prennent la forme d’une domination de la culture majoritaire, fondée sur l’oppression historique de ces peuples, ce qui explique aujourd’hui leur statut et leur condition déplorable7. Les droits de la personne des populations autochtones ne sont pas encore reconnus et leur droit à l’autodétermination est mis en péril régulièrement. Les femmes autochtones sont dépendantes des ressources naturelles comme l’eau potable et la terre fertile, mais il y a souvent des barrières à l’accès de leurs terres ancestrales pour acquérir les ressources nécessaires pouvant créer, notamment, des situations d’insécurité alimentaire8. De surcroit, les personnes handicapées sont fortement marginalisées dans la société népalaise, car elles sont perçues comme incompétentes au sein de la société; elles sont perçues comme incapables de travailler ou d’entretenir des tâches quotidiennes. C’est en effet la mission de NIDWAN de déconstruire ces stéréotypes par des pratiques d’« empowerment » qui servent à démontrer la force que peuvent avoir ces femmes et ces filles. Troisièmement, les femmes vivent de la discrimination dans toutes les sphères de la société, autant économiquement que dans le cadre familial. Le système patriarcal persiste dans la majorité des sociétés et des groupes ethniques du Népal. Les femmes autochtones vivent encore un haut taux d’agressions sexuelles et de la violence basée sur le genre, avec un accès limité aux systèmes judiciaires en raison de l’exclusion sociale, le racisme et les politiques économiques qui accentuent la pauvreté. Une étude de 2021 sur la violence faite aux femmes a démontré que sur 210 femmes autochtones avec ou sans handicaps, 87.62% d’entre elles ont reporté avoir été sujettes à des violences fondées sur leur ethnicité9.

En effet, comme m’expliquait Dipika, Madhesh est la province la moins développée, malgré un bon accès aux services et aux infrastructures. La raison du sous-développement de cette province s’explique par les stéréotypes entourant les femmes et le sexisme systémique qui empêche leur émancipation. Depuis quelque temps, les femmes ont le choix de s’éduquer, cependant ce n’est pas encore un droit acquis et les femmes avec un niveau d’éducation trop élevé ont plus de difficulté à trouver un mari. Les femmes de cette région vont à l’école en général jusqu’à la 12e année et sont ensuite forcées à se marier et à sacrifier leur avenir pour le bien-être de leur mari. De plus, le taux de mariage est beaucoup plus faible chez les femmes avec des handicaps, car elles sont perçues comme incapables d’accomplir les tâches ménagères de la maison et d’effectuer dans les activités d’agriculture. Plusieurs stéréotypes sur les femmes avec des handicaps encouragent leur discrimination: ignorante, illettrée, faible, incapable de contribuer à la société. Leur handicap accentue également leur risque d’abus ou d’agression, car elles se retrouvent souvent dans des relations de dépendance. Elles ne sont pas définies comme des personnes juridiques égales aux autres femmes.

Le manque de réponse humanitaire, d’accès à l’information et aux services de base, l’insécurité et les services de santé délabrés, la discrimination basée sur le genre et l’ethnicité, ainsi que la participation minime aux prises de décision mettent les droits des femmes autochtones avec des handicaps dans une situation périlleuse. Le Népal doit appliquer des politiques inclusives et interculturelles prescrites par UNDRIP, CEDAW et la Convention népalaise sur les droits autochtones et des personnes handicapées, pour protéger les droits de la personne de cette population. Il faudra également assurer l’accès à la justice qui respecte leur langue et leur culture et renforcer les données désagrégées basées sur le genre, l’âge, l’ethnicité, la langue, la religion, les handicaps, etc10.

Une nouvelle convention doit être rédigée garantissant une approche intersectionnelle des discriminations qui pourra protéger les droits de la personne de toutes les populations marginalisées. Les organismes tels que NIDWAN devraient avoir un soutien et une reconnaissance accrue. Enfin, les conclusions de leurs rapports de recherche devraient être intégrées au sein de la constitution népalaise. L’émancipation des femmes et l’égalité des genres ne pourront pas se faire sans l’émancipation de toutes les femmes.

 

Notes et références

1. Indigenous Voice. (2025). “Indigenous peoples of Nepal”. Indigenous Voice. Récupéré de : https://english.indigenousvoice.com/indigenous-peoples-of-nepal

2. ibid.

3. Gurung, P. (2022). “Report on violence against Indigenous women and girls”. National Indigenous Disabled Women Association Nepal. Récupéré de : https://www.ohchr.org/sites/default/files/2022-03/Joint-Nepal.pdf

4. Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. (2007). « Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ». Récupéré de : https://www.ohchr.org/fr/indigenous-peoples/un-declaration-rights-indigenous-peoples

5. Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail. (1989). « Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 (Nº169) ». Récupéré de : https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/indigenous-and-tribal-peoples-convention-1989-no-169

6. Government of Nepal. (2017). “The Act relating to rights of persons with disabilities 2074 (Act No. 25 of the year 2074)”. Nepal Gazette. Récupéré de :  https://extranet.who.int/mindbank/item/7138

7. Gurung, P. (2022). “Report on violence against Indigenous women and girls”. National Indigenous Disabled Women Association Nepal. Récupéré de : https://www.ohchr.org/sites/default/files/2022-03/Joint-Nepal.pdf

8. Indigenous Voice. (2025). “Indigenous peoples of Nepal”. Récupéré de : https://english.indigenousvoice.com/indigenous-peoples-of-nepal.

9. ibid.

10. ibid.