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Blogue des stagiaires

Une question d’alternatives environnementales – Épisode 1

Éliane Boucher (CC)
Bienvenue à Une question d’alternatives environnementales, un balado qui examinera une variété d’enjeux environnementaux dans le but d’explorer comment la crise climatique affecte toutes les facettes de notre monde, et comment nous pouvons créer des changements.

Dans ce premier épisode, nous jasons avec Isabelle Béliveau, fondatrice et directrice générale de l’organisme Éco-motion, qui est basé à Sherbrooke. Éco-motion est un organisme qui accompagne les gens qui vivent de l’éco-anxiété ou d’autres émotions liées à l’environnement et à la crise climatique dans le but d’aider ces personnes à s’adapter et à structurer leurs actions. Isabelle nous parle d’éco-émotions, de climatoscepticisme et de l’importance de ralentir.

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Lisez la transcription :

Violette Drouin: Bienvenue au balado Une question d’Alternatives environnementales! Je m’appelle Violette Drouin et je serai votre animatrice.

Aujourd’hui, on va parler d’un sujet qui fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années: l’éco-anxiété. C’est un terme qui est en général employé dans le contexte de la crise climatique, et qui est appliqué à des sentiments d’anxiété, évidemment, qui sont en lien avec la destruction de l’environnement, l’inaction climatique, et plus encore. Pour approfondir à ce sujet, j’ai avec moi Isabelle Béliveau, fondatrice et directrice générale de l’organisme Éco-motion, organisme qui, et je cite ici leur site Web, “permet d’aborder les changements climatiques par l’entremise des émotions pour une adaptation collective à la crise climatique”. Isabelle, bonjour!

Isabelle Béliveau: Salut!

VD: Donc, aujourd’hui, on va parler d’éco-anxiété. Pourriez-vous définir l’éco-anxiété en trente secondes pour les gens qui n’en auraient pas entendu parler avant?

IB: Je vais la définir dans ma propre expérience, parce que c’est différent d’une personne à l’autre. Moi, comme environnementaliste – j’ai étudié en environnement et en écologie – je commençais à trouver ça très difficile mentalement de continuer à faire mon travail, de continuer à étudier là-dedans parce que j’étais constamment bombardée d’informations assez angoissantes sur notre futur. Aussi, je prenais de plus en plus conscience de la limite des solutions qui sont présentement proposées. Pour moi, c’est ça, l’éco-anxiété: c’est de prendre conscience de l’ampleur des défis et de la limite des solutions qu’on peut apporter comme citoyens ou comme individus. Ce serait ça ma définition.

VD: Et donc vous avez fondé Éco-motion suite à ça?

IB: Exactement, oui.

VD: Et l’organisme travaille à accompagner les gens qui font l’expérience de l’éco-anxiété?

IB: Oui, et pas juste l’éco-anxiété, parce qu’on s’entend que, comme dans n’importe quoi, on ne vit pas juste de l’anxiété, on peut aussi vivre de la tristesse, de la colère, toute une gamme d’émotions. Donc tout ce qui est en lien finalement avec ce qu’on appelle des “éco-émotions”. C’est quoi une éco-émotion? C’est tout simplement une émotion qui témoigne de notre relation qu’on a avec notre environnement, notre milieu de vie. Des fois, il y a des gens qui se disent “moi, j’ai pas ça,” mais on vit tous et toutes dans un environnement. C’est qu’on ne prend pas conscience qu’on a une relation et qu’on fait des échanges avec ce milieu de vie, et que donc, s’il y a des changements dans ce milieu-là, on va avoir des réactions pour s’y adapter. Moi, je pense que ça passe beaucoup par les émotions. Si on vit beaucoup d’émotions, beaucoup de préoccupations, on est très dérangé par ce qui se passe, on peut arriver à un point où ça devient envahissant, et que là on a peut-être besoin d’aide, besoin de mettre des mots sur certaines choses pour comprendre comment mieux vivre avec ça et comment s’adapter, trouver des solutions. C’est vraiment ça, la mission d’Éco-motion. Ce n’est pas de traiter quoique ce soit, parce qu’on pense que c’est parfaitement normal de vivre ça. Mais, clairement, il y avait un besoin de support, [dont] moi j’avais besoin quand j’étais aux études, et je me suis rendue compte que c’était vraiment quelque chose de plus répandu qu’on pensait. On a décidé d’en faire carrément un organisme qui offre des services à ce sujet.

VD: Comme vous dites, l’éco-anxiété est quand même une réaction plutôt normale. J’ai entendu des professionnels de santé mentale qui qualifient ça de réaction à un facteur de stress. Ce n’est pas un diagnostic officiel. Est-ce que, à votre avis, ça devrait l’être? Est-ce que ça serait utile ou y a-t-il déjà les outils pour accompagner les gens qui souffrent d’éco-anxiété?

IB: Il y a deux questions dans cette question-là. Par rapport au diagnostic, moi je pense que c’est très important qu’on ne pathologise pas l’éco-anxiété, qu’on n’en fasse pas une chose à traiter ou à faire disparaître, parce que justement, elle est là comme signal d’alarme de notre corps qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans notre environnement. Donc si on essaye d’enlever ça, on s’enlève vraiment une possibilité de s’adapter à notre environnement. Maintenant, je pense que c’est important que ça ait un nom, que ça ne soit pas juste une autre forme d’anxiété comme on en entend souvent parler. (pis que) effectivement, il y a des choses qu’on peut faire pour canaliser cette éco-anxiété dans des actions qui soutiennent notre système nerveux mais qui aussi vont aider à nos sociétés, à nos quartiers, à nos villes à s’adapter. C’est vraiment quand ça devient envahissant que je pense qu’il y a quelque chose à – c’est là qu’on va peut-être référer la personne à plus des professionnels de la santé, parce que souvent ça va être lié à un trouble d’anxiété ou quelque chose du genre, ça peut être autre chose aussi, mais c’est jamais l’éco-anxiété le problème. Ce sont des problèmes systémiques qui causent cette anxiété-là, qui est parfaitement normale. Je vous démêler un peu des choses.

La deuxième partie de la question: oui, il y a des outils qui existent. Je dirais que c’est assez nouveau; aux États-Unis, en Europe, il y a beaucoup de recherches qui sont faites, ici, ça commence au Québec. Là, on est en train de vraiment développer avec des chercheurs et des chercheuses plusieurs outils qui peuvent aider. Encore une fois, on va jamais éliminer l’éco-anxiété, parce qu’elle est parfaitement normale et elle nous aide dans notre fonctionnement.

VD: On entend souvent dire que l’éco-anxiété, c’est quelque chose qui affecte principalement les jeunes – est-ce que c’est vrai? Est-ce les personnes âgées qui souffrent d’éco-anxiété ont une expérience différente qui fait qu’on a cette idée que c’est principalement des jeunes [qui en souffrent]?

IB: Moi, je pense – et avec mon expérience aussi, de ce que j’ai vu dans les groupes que j’accompagne – c’est vrai que c’est beaucoup des jeunes qui vivent de l’éco-anxiété. Pourquoi? Parce que l’éco-anxiété, c’est lié à des préoccupations qu’on a envers notre futur. Donc on va avoir de plus en plus de difficulté à se projeter dans le futur, à s’imaginer de quoi va avoir l’air notre vie. C’est sûr que, plus tu es jeune, plus tu as de la misère à voir de quoi va avoir l’air ton futur, [et] plus tu risques d’être anxieux ou anxieuse. C’est peut-être différent chez les personnes plus âgées, dans le sens qu’ils vont vivre [l’éco-anxiété] différemment parce que, eux c’est plus une forme de nostalgie, de ce que j’ai connu dans ma jeunesse, ce n’est plus du tout ça, ça bouge tellement rapidement, et je suis anxieux ou anxieuse pour mes petits-enfants. Mais ce n’est pas pour sa vie à soi, et il y a une grande différence là-dedans. Oui, je pense c’est plus les jeunes qui le vivent, mais je pense que n’importe quelle génération a besoin d’être accompagnée là-dedans parce que c’est des grandes questions existentielles, pas juste par rapport à sa vie, mais par rapport à l’humanité, par rapport aux autres espèces, aussi, qui vivent les changements climatiques comme nous. Je pense que c’est une question qu’on doit de plus en plus aborder dans tous les milieux, pas juste dans les écoles, mais dans les entreprises, les organisations, le gouvernement.

VD: Vous avez mentionné, justement, le futur, et comment plusieurs jeunes aujourd’hui ont de la misère à le visionner. Est-ce que l’éco-anxiété s’applique uniquement à cette anxiété un peu anticipatoire au sujet des effets potentiels et futurs de la crise climatique, ou est-ce qu’elle comprend aussi les sentiments chez les gens qui font déjà l’expérience à grande échelle des effets de la crise climatique? Je pense à des gens qui auraient dû évacuer à cause d’un feu, qui auraient été victimes d’une inondation, est-ce que ça devient autre chose? Ou est-ce que ça tombe toujours sous le parapluie d’éco-émotions, éco-anxiété?

IB: C’est vrai que l’éco-anxiété c’est un peu une éco-émotion parapluie. Dans notre mission à Éco-motion, on essaye vraiment de donner le plus possible de vocabulaire aux gens pour qu’ils arrêtent d’appeler tout le temps leurs émotions de l’éco-anxiété. Parce que des fois, ça n’a pas rapport du tout à de l’anxiété. Par exemple, dans le cas d’inondations ou de gens qui vivent vraiment les changements climatiques là, maintenant, dans leur cour, on parle plus de trauma environnemental. On sait c’est quoi un trauma, mais là c’est vraiment un trauma par rapport à son milieu de vie. Il y a même des gens qui vont parler, par exemple, de solastalgie, donc la perte d’un milieu qui nous était cher, un milieu qui était réconfortant pour nous. On peut penser à une maison: si ta maison brûle dans un feu de forêt, tu vas vivre une forme de perte de réconfort envers ce lieu-là qui était important, qui t’apportait du réconfort. Ça, c’est lié plus à de la tristesse, c’est lié plus des fois à de la détresse; on n’est plus vraiment dans l’anxiété. C’est sûr qu’il y a de la peur, mais les émotions c’est super difficile à catégoriser. En même temps, je trouve important qu’on ait une diversité dans notre vocabulaire, parce qu’on ne peut pas comprendre une réalité qu’on ne comprend pas d’abord à l’intérieur de soi. Plus on est bon pour nommer ce qu’on vit réellement, plus on va être capable de comprendre le besoin derrière. Et le besoin derrière l’anxiété n’est pas du tout le même que derrière la colère. Leurs fonctions sont vraiment différentes, et elles vont nous aider à nous adapter de manières différentes à des situations différentes. Donc c’est là l’intérêt d’arrêter de mettre tout sur l’éco-anxiété. Il y a des gens qui vont dire “je vis beaucoup d’éco-anxiété,” mais en fait ce qu’ils vivent énormément c’est de la colère. Et la colère nous invite à affirmer encore mieux les limites, à protéger un territoire, des gens, des animaux, peu importe. Ce n’est pas du tout la même chose que l’anxiété. Je pense que c’est important de faire ces distinctions-là.

VD: C’est vraiment intéressant, parce que je pense que le terme “éco-anxiété” a pris beaucoup d’ampleur, et donc les gens ont des fois tendance à, comme vous dites, tout appliquer à ça, tandis qu’on peut vivre toutes sorte d’émotions par rapport à notre environnement.

Il existe toutes sortes de conditions adverses dans la vie qui peuvent causer des émotions, de l’anxiété, des problèmes de santé mentale: par exemple, la guerre, la discrimination, la pauvreté. Je nomme ces situations pour les comparer à des éco-émotions dans le sens où la solution idéale et à long terme serait d’éliminer le facteur de stress. Donc, ce que je me demande c’est: est-ce que vous voyez des similarités entre ces exemples et les éco-émotions? Des différences? Est-ce que vous pensez que les gens qui souffrent d’éco-anxiété ont des choses à apprendre des communautés qui font face à des enjeux comme la guerre et la discrimination et qui ont développé des stratégies de résilience?

IB: Totalement. Je pense que [dans] tous les exemples que tu nommes, on est vraiment dans une vision un peu macro d’un système, et il n’y a rien de plus macro que l’éco-anxiété. C’est rare que quelqu’un va vivre de l’éco-anxiété juste par rapport à sa vie. Souvent, on inclut – et c’est ça qui devient très envahissant – on inclut beaucoup, beaucoup de gens, beaucoup d’espèces, d’écosystèmes. Il y a même des gens qui vont inclure là-dedans tous les problèmes politiques. Ça devient vraiment overwhelming. Je pense que, effectivement, les personnes qui vivent, par exemple, des situations de guerre, développent très clairement des capacités de résilience qui vont aider n’importe quelle autre crise, comme la crise écologique. Dans le fond, toutes les crises qu’on vit présentement qui sont plutôt sociales, leurs racines viennent de la crise écologique. Il faut arrêter de compartimenter les choses, de voir les choses en silos, et [les] voir comme un gros tout. Sauf que c’est difficile pour notre cerveau de ne pas compartimenter les chose ; ça nous rassure quand c’est dans des boîtes. Mais je pense que c’est important de développer, et d’écouter les gens qui vivent des choses très macro et voir comment elles on cope avec ça, et comment ça a ouvert leur esprit à des nouvelles perspectives que nous on n’a pas en ce moment.

VD: Sur un autre sujet, j’ai entendu plusieurs personnes dire que les climatosceptiques peuvent aussi souffrir de façon inconsciente d’éco-anxiété. Est-ce vous pourriez détailler comment ça marche?

IB: Je suis quand même assez d’accord avec cette affirmation-là parce que je pars du principe qu’on vit tous sur la même planète, on a tous besoin des mêmes ressources pour vivre. Donc j’ai de la misère à m’imaginer qu’une personne pourrait vraiment être complètement indifférente à des changements sur notre environnement. Il y a aussi, dans les recherches sur l’éco-anxiété, il y un spectre, donc des gens qui vont beaucoup ressentir d’éco-anxiété et d’autres qui vont vivre de l’éco-anxiété mais qui ne vont pas du tout en ressentir. C’est comme un espèce de gel. Et, peut-être le climatoscepticisme a des racines là-dedans, dans le gel, l’espèce de mise à distance qui est en fait un mécanisme de défense. Mais là, c’est malheureusement pas les gens que j’accompagne, donc je connais moins qu’est-ce qui motive le fait de se mettre à distance à ce point-là des informations, et même de les remettre en question constamment. Je sais en tout cas que les personnes qui sont plus de l’autre côté du spectre doivent vraiment, s’ils veulent apaiser leur éco-anxiété pour ensuite pouvoir agir, il faut vraiment qu’ils mettent moins d’attention sur ces gens-là. Parce que ces deux personnes-là ne sont tellement pas dans une même façon de penser, façon de voir le monde. Le clash est tellement trop grand que dans les deux cas on fait juste renforcer les positions, et ça, c’est très énergivore pour les deux. Chaque groupe, si je peux dire ça comme ça – je déteste séparer les choses – a un travail à faire chacun de leur bord avant qu’on arrive à un réel dialogue. C’est comme si c’est trop polarisé en ce moment. Ça, c’est ma perspective en ce moment. J’ai trouvé beaucoup de réconfort à lâcher prise pour l’instant. Et lâcher prise ça ne veut pas dire renoncer. Ça veut dire garder mes énergies pour ce que je peux faire en ce moment et pas m’épuiser, parce que si on s’épuise – et c’est ça qui arrive beaucoup, des burnouts militants – il y a beaucoup de [personnes] qui se retirent du mouvement parce qu’ils ont tellement donné pour tellement peu de résultats qu’ils n’ont plus d’énergie pour eux-mêmes, ils sont en burnout, ils sont en dépression, et [ils] ne font plus avancer la transition. Il faut faire attention à ça, c’est vraiment dans l’équilibre, je pense.

VD: Parlant de cette polarisation sur le spectre de l’éco-anxiété, j’ai l’impression qu’il y a des gens qui sont peut-être un peu au milieu, qui sont conscients de la crise climatique, de l’importance d’agir, qui ne vont pas nier que ça se passer, mais qui ne restent pas nécessairement informés, vont pas nécessairement lire les nouvelles ou entreprendre des actions écologiques, qui ne vont pas mentionner la crise climatique. C’est peut-être une peur d’affronter l’énormité de cet enjeu-là – ce qui est très très compréhensible. Ces gens-là, trouvez-vous que ça vaut la peine d’aller les chercher?

IB: Oui. Il y a beaucoup de choses là-dedans, parce que ça c’est un grand paquet de gens. Il faut que la personne ait un intérêt déjà en partant. Par exemple, on peut parler d’identité environnementale. Moi, j’ai grandi dans un milieu assez naturel, j’avais un boisé juste en arrière de chez moi, j’ai vraiment grandi avec des animaux et tout. Donc j’ai une grande sensibilité à l’environnement et dès qu’un milieu change un peu, je le sais et ça va m’affecter. Quelqu’un qui a grandi en ville, qui n’est jamais sorti de Montréal, par exemple, j’ai parlé à des gens qui m’ont dit, “je ne me sens pas concerné par l’environnement, par les changements climatiques, parce que je n’ai pas grandi là-dedans.” C’est ça qu’il faut comprendre aussi: c’est beaucoup dans le dialogue, de comprendre la position de la personne, et de là ensuite essayer d’y adapter pour amener la personne à plus s’intéresser. Parce que l’environnement, c’est super large, j’arrête pas de parler de protection de la nature, mais j’ai étudié en environnement, donc j’ai vu tout ce qui est matières résiduelles, alimentation, énergie. Il y tellement de domaines en environnement. Pour quelqu’un qui est un ingénieur, qui a grandi à Montréal dans un milieu complètement bétonné, peut-être que l’aspect énergétique, comment réduire notre consommation d’énergie, que ce soit résidentiel ou un autre secteur, peut-être que ça va l’intéresser parce que ça vient chercher des compétences qu’il ou elle a. Il faut aller chercher les forces, les passions des gens, et démontrer que l’environnement est partout et qu’on a toutes une contribution à apporter. C’est là, je pense, qu’on va chercher le plus de gens.

VD: Vous avez déjà parlé de l’importance pour les militants, pour les gens dans ce milieu-là, de faire attention au burnout. C’est la question classique: quels autres conseils auriez-vous pour les gens qui souffrent d’éco-anxiété? Je sais que souvent les gens ont l’impression de ne jamais pouvoir en faire assez devant l’énormité de la crise climatique.

IB: J’ai deux choses à dire là-dessus. Premièrement, comme militante pour le climat, le “j’en fais jamais assez,” c’est vraiment toxique. Et ça vient du système que, en fait, on dénonce. La productivité à tout prix, l’idée qu’il ne faut jamais arrêter, être toujours dans notre tête – ralentir, pour un militant, c’est comme être égoïste. Il faut vraiment changer cette façon de réfléchir, parce que – c’est quelque chose que j’ai dit beaucoup, mais je me suis dit, “là, je suis en train de me brûler, pour empêcher que la terre brûle. C’est un non-sens.” Donc, comme militante, j’ai appris à ralentir, à sortir de cette espèce de système où il faut tout le temps produire, il faut tout le temps être partout, il faut tout le temps être occupé, sinon on est rien, on n’a pas d’identité. De sortir de ça, c’est une action militante en soi. Comment apaiser son éco-anxiété, c’est de commencer à ralentir. Et c’est difficile à faire. C’est vraiment une action difficile à faire. Mais on ne peut pas trouver des solutions, on ne peut pas rester créatif, si notre système nerveux est constamment surchargé. Il faut apprendre à décharger le trop-plein avant même de penser à faire un projet, à changer son mode de vie. C’est vraiment la première chose à faire. Et ça prend du temps. Donc il faut être très indulgent envers soi. Plus il va y avoir des gens qui ralentissent et qui remarquent à quel point ils ont une plus grande clarté d’esprit – quand ils voient une mauvaise nouvelle ils se disent “Ok. Ça, ça arrive, qu’est-ce qu’on fait?” et non tu es déjà surchargé, tu vois la mauvaise nouvelle et tu continues à scroller parce que c’est too much déjà – je pense que c’est là qu’on va finir par reprendre le mouvement. J’ai vraiment senti qu’avec la pandémie, on vit une fatigue qui va être dure à surmonter si on continue à ce rythme-là, de toujours aller plus vite, toujours plus loin. C’est ça mon conseil. Si on m’avait dit ça il y a trois ans, quand j’étais super impliquée, j’aurais dit, “laisse faire”. Mais c’est ce que j’enseigne aujourd’hui et c’est ce qui m’a permis de continuer à m’impliquer d’une manière plus durable. Parce que c’est ça dont on a besoin, en fait. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, cette transition, donc si on perd constamment des gens, la transition va se faire plus lentement. Pour aller vite, il faut d’abord ralentir.

VD: On parle toujours de durabilité en terme de la planète, mais il faudrait en parler en terme de nous-mêmes aussi, c’est ce que je comprends.

IB: C’est ça.

VD: Isabelle, merci beaucoup, c’était vraiment très inspirant comme conversation.

IB: Merci à toi, ça fait plaisir.