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COVID-19 : analyse de la couverture médiatique en Afrique du Sud aux débuts de la crise

© Meryem Bezzaz

En Afrique du Sud, comme dans de nombreux pays d’Afrique, la pandémie de la COVID-19 a mis du temps avant d’accaparer la scène médiatique nationale. Au début de la crise, la propagation du virus avait pour toile de fond les divers enjeux et problèmes socio-économiques et politiques auxquels faisait face le pays (scandales de corruption, vague de violences, montée de la xénophobie, tensions avec les pays voisins et récession économique). La principale nouvelle liée à la COVID-19 concernait le rapatriement des 114 étudiants sud-africains présents à Wuhan au moment de l’éclosion de la maladie [1].

À mesure que la situation évoluait dans le reste du monde et avec le signalement du premier cas confirmé dans le pays, la couverture médiatique de la pandémie est devenue de plus en plus importante. Mais, dans les premières heures de la crise en Afrique du Sud, à quoi ressemblait la couverture médiatique de la pandémie [2] ?

Quels étaient les principaux types de médias couvrant la crise ?

De décembre 2019 jusqu’au 9 mars 2020, les cinq principaux quotidiens sud-africains offrant la plus grande couverture médiatique du coronavirus sont SABC Online News (85 articles), The Citizen (75 articles), Eyewitness News (66 articles), News24 (64 articles) et Daily Dispatch (47 articles). Il s’agit là de quotidiens traitant principalement d’actualités nationales. Quelques journaux consacrés à l’économie et au milieu des affaires figurent au top 20 — Business-Tech (31 articles), Moneyweb (27 articles) et Business Day (24 articles). Mais cette couverture « économique » du virus reste minime ; ce qui peut paraître surprenant avec le recul.

Une partie de l’explication réside dans les phases par lesquelles la crise passe. C’est tout d’abord une crise sanitaire, qui devient une crise économique, puis une crise socio-politique. Le confinement n’avait pas encore commencé et les médias ne mettaient donc pas encore l’accent sur les conséquences économiques de la pandémie. Les articles traitant de ce sujet se sont donc multipliés au courant des mois de mars et avril. Pour prendre un exemple, en une semaine (du 9 mars au 16 mars 2020), chez Business-Tech, le nombre d’articles mentionnant la COVID-19 a doublé. Même constat chez Moneyweb, avec une augmentation de 74%, et chez Business Day (58%).

De manière générale, la couverture médiatique de la COVID-19 s’est accrue dans les semaines qui ont suivi l’annonce du premier cas confirmé dans le pays (le 5 mars 2020). Le nombre d’articles publiés au sujet du virus a augmenté de 227% — soit le triple du nombre initial. Cette soudaine augmentation met en évidence un instant de basculement pour la presse sud-africaine. Il s’agit du moment où les médias prennent conscience de l’ampleur de la situation et l’impact que la pandémie pourrait avoir sur la population. La crise n’est plus seulement un fait international, il s’agit désormais d’un fait national.

Graphique : Couverture médiatique quotidienne de la pandémie de la COVID-19

Quels groupes ont occupé l’espace médiatique ?

Près de 68% des sources identifiées sont des personnes de couleur noire et 84,4% sont de sexe masculin. Les hommes noirs représentent donc la majeure partie des sources citées. Les femmes ne représentent que 15,6% des sources identifiées. Les personnes de couleur blanche sont surreprésentées dans les médias. Elles forment moins de 10% de la population sud-africaine, mais représentent 24% des sources citées. Ce résultat n’est pas surprenant. En effet, la surreprésentation des personnes de couleur blanche est un phénomène assez courant sur la scène médiatique sud-africaine. Les grands oubliés des médias sont les métis du Cap (Coloured), qui ne sont presque pas cités durant la période couverte par l’étude (0,52%).

Néanmoins, il est important de noter que la pandémie était un sujet d’actualité internationale et que donc, dans ses débuts, les principales sources citées étaient des sources occidentales (OMS, Chine, Italie, États-Unis, etc.). Ainsi, on retrouve plusieurs personnalités politiques et économiques occidentales importantes citées, principalement des hommes (Mark Zuckerberg, Mike Pence, Donald Trump, Mike Pompeo, Bill Gates, etc.).

Quels sont les mots clés mentionnés ?

En termes de contenu, les médias se sont essentiellement intéressés à la Chine, avec plus d’un millier de mentions de mots comme Wuhan, Hubei, China, Chinese Government, etc. Tandis qu’il y a moins d’une centaine de termes liés à l’Italie, alors que la situation dans le pays devenait de plus en plus critique. De la même manière, les pays et les gouvernements européens sont cités moins de 500 fois. Ce qui est surprenant, lorsqu’on connaît l’évolution de la situation en Europe à la fin du mois de février et que le premier cas confirmé de COVID-19 en Afrique du Sud était un résident sud-africain revenant d’Italie [3]. Une explication du nombre important de références à la Chine pourrait résider dans la question du rapatriement des étudiants sud-africains présents à Wuhan au début de la pandémie. Un sujet qui a divisé le pays et dont les médias ont beaucoup parlé.

Cependant, il est important de noter qu’au cours de la semaine du 9 au 16 mars 2020, le nombre de références à l’Italie dans les médias sud-africains a augmenté de 860% ; tandis que les mentions de la Chine n’ont augmenté que de 43%. Cette augmentation coïncide avec le début du confinement et la fermeture des frontières en Italie. À voir les tendances, on s’attend à une augmentation continue des mentions des pays européens dans les médias sud-africains.

Enfin, le ministre de la santé, Zweli Mkhize, figure parmi les trois mots les plus mentionnés dans les médias. Ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il est chargé de gérer la crise et donc d’informer la population quant aux nouvelles mesures et directives prises par le gouvernement.

De manière générale, sur cette période de dix-sept semaines, les médias se sont davantage concentrés sur l’origine du virus, la réponse des gouvernements et les observations des institutions politiques, que sur la nécessité de clarifier la nature du virus, de ses symptômes et des mesures de prévention qui doivent être adoptées par la population. Sur un total de 825 articles, les mots comme « maladie » ou « infection » ne sont mentionnés que 150 fois, « toux » et « fièvre » moins d’une cinquantaine de fois chacun, « quarantaine » 80 fois et « isolement » seulement 10 fois.

Quelles sont les principales sources citées ?

Les cinq principales sources identifiées sont le Congrès National Africain (ANC), les gouvernements, et les experts — incluant les universitaires et les chercheurs. Le corps médical n’a été interviewé que pour 3 articles, sur 825. Ce qui rejoint le précédent point, à savoir l’accent mis par les médias sur la réponse politique de la crise. Les experts et les médecins ne sont pas les principales sources d’informations, en ce qui concerne la COVID-19, pour la majeure partie des médias sud-africains. Cela soulève donc la question suivante : en temps de crise, les médias accordent-ils davantage d’intérêt aux informations fournies par les gouvernements et les politiciens, plutôt qu’à celles des experts et des médecins ?

Certes, les gouvernements font appel aux spécialistes et aux chercheurs pour déterminer les mesures à prendre et mettre en place une cellule de crise : et certes, plusieurs membres du gouvernement ont une expertise dans le domaine qu’ils représentent. Mais cela justifie-t-il une plateforme aussi importante dans les médias ?

Dans la même lignée, les deux personnalités les plus citées sont le ministre de la Santé (Zweli Mkhize) et le Président (Cyril Ramaphosa). La principale préoccupation du ministre de la Santé et du Président est la désinformation. Le gouvernement ne fournit pas beaucoup d’informations quant aux précautions — comme les gestes barrières et la distanciation – que la population devrait prendre pour ralentir la propagation du virus. Seules deux citations du ministre de la santé et une seule du président mentionnent les mots « mouchoir », « lavage des mains », et « distance entre les gens ». Le ministre ne mentionne qu’une seule fois les personnes âgées. Il met davantage l’accent sur les enfants et les mesures misent en place pour assurer la sécurité des citoyens (contrôle aux aéroports, traçabilité, etc.), dans le but de ne pas semer la panique.

« People should not spread fake news, unverified news or gossip because that’s really causing a lot of unnecessary panic. » [4] Zweli Mkhize

Il est toutefois important de noter que la troisième personnalité sud-africaine la plus citée est la co-directrice du Centre pour les maladies respiratoires et la méningite à l’Institut national des maladies transmissibles d’Afrique du Sud (NICD). Les citations de Cheryl Cohen concernent principalement le besoin de ne pas surcharger les hôpitaux, d’expliquer à la population le déroulement d’une quarantaine et de sensibiliser les citoyens quant à la vulnérabilité des personnes âgées. Elle tente ainsi de rassurer la population. Cheryl Cohen explique une partie des effets du virus sur l’organisme et ses effets graves, notamment pour les personnes âgées.

« This virus invades the lungs and causes them to swell, blocking your flow of oxygen. Information on the full spectrum of the clinical disease is still limited. However, to date, most cases have a link to a market in Wuhan. Cases who presented with severe illness had underlying medical conditions and were elderly [people]. » [5]Cheryl Cohen

Qu’en est-il de la couverture médiatique pendant la quarantaine ?

Le 27 mars 2020, un confinement strict et obligatoire a commencé en Afrique du Sud. Ce fut une nouvelle étape dans l’évolution de la crise dans le pays. Plusieurs décisions prises par le gouvernement ont été vivement critiquées, telles que la fermeture des tabacs et l’interdiction de vendre de l’alcool à la population [6]. Avec le passage à une nouvelle phase, vient aussi une nouvelle manière de couvrir la crise. Les journaux portent davantage d’intérêt au quotidien de la population et sur les différentes directives du gouvernement pour s’assurer que les citoyens respectent le confinement. Les médias vont aussi parler des abus et des conséquences de cette quarantaine forcée. De nouveaux spécialistes et personnalités politiques risquent d’être cités.

Le 8 mai 2020, Media Monitoring Africa (MMA) a publié une analyse de la couverture médiatique de la pandémie de la COVID-19 en Afrique du Sud [7]. L’étude porte sur les 2368 articles publiés entre le 13 avril et le 17 avril 2020. Les personnes les plus citées par les médias sont toujours les hauts fonctionnaires du gouvernement, principalement le président Cyril Ramaphosa. Cependant, on constate une diminution des citations du ministre de la Santé, Zwelini Mkhize, au profit des citations du ministre des Finances, Tito Mboweni, et de la ministre de l’Éducation, Angie Motshekga. Ce changement met en avant le passage d’une crise sanitaire à une crise socio-économique. Quant aux experts et aux scientifiques, ils sont de moins en moins cités.

Le rapport de MMA explique l’importance du nombre de citations des représentants gouvernementaux par la rapidité avec laquelle les médias voulaient couvrir les événements liés à la COVID-19 et les efforts déployés par le gouvernement pour communiquer de manière constante avec le public, notamment à la suite de la découverte du premier cas en Afrique du Sud.

Concernant la parité entre les genres, les hommes demeurent surreprésentés dans les médias. On peut même noter une légère baisse de la représentation des femmes entre mars et avril. Elle passe de 15,6% à 13%. Il est aussi important de noter une importante baisse du nombre de personnes blanches citées, passant de 25% entre octobre 2019 et le 9 mars 2020 à 11% en avril et se rapprochant donc du pourcentage de représentation réel au sein de la population (8%) [8]. Encore une fois, les médias ont négligé de prendre en considération les opinions et les témoignages de la population métis d’Afrique du Sud.

Conclusion

En conclusion, une analyse de la couverture médiatique de la pandémie permet donc de mettre en évidence les inégalités de représentation des minorités sur la scène médiatique du pays. Elle souligne le manque de citations d’experts et de chercheurs sur des questions de santé nationale. Mais surtout, une telle analyse permet de mieux comprendre les phases d’une crise et d’identifier les moments de basculements.

Aujourd’hui, dans le monde, plus de 4,3 millions de personnes sont infectées de la COVID-19 et près de 300 000 personnes en sont mortes [9]. L’Afrique du Sud, avec 11 350 cas et 206 décès [10], est un des pays les plus touchés d’Afrique. La population est fragile, avec près d’un adulte sur quatre séropositif [11]. Le gouvernement tente donc par tous les moyens de limiter la propagation de la pandémie dans le pays. Il est présent sur tous les médias, met en place des mesures restrictives – parfois vivement critiquées – et ordonne à la population de suivre les directives. Les médias sont donc à l’affût des communiqués et sorties médiatiques du gouvernement. La population se questionne et cherche des réponses. La crise n’est plus seulement sanitaire, elle est désormais, comme dans le reste du monde, économique et sociale.

Références :

[1] https://qz.com/africa/1818560/coronavirus-fears-in-south-africa-as-students-return-from-wuhan/ (consulté en ligne le 9 mai 2020).

[2] L’analyse porte sur 825 articles recueillis entre le 1er octobre 2019 et le 9 mars 2020. Les données ont été obtenues via la plateforme Dexter, développée par Media Monitoring Africa.

[3] https://www.cnn.com/2020/03/05/africa/south-africa-first-coronavirus-case/index.html (consulté en ligne le 12 mai 2020).

[4] Voir : https://ewn.co.za/2020/03/06/sa-health-authorities-on-high-alert-amid-first-confirmed-coronavirus-case (consulté le 13 mai 2020).

[5] Voir : https://www.groundup.org.za/article/authorities-prepare-south-africa-coronavirus/ (consulté en ligne le 13 mai 2020).

[6] Voir : https://www.washingtonpost.com/world/africa/south-africa-coronavirus-lockdown-alcohol-ban/2020/05/09/a2b964a2-8eef-11ea-9322-a29e75effc93_story.html (consulté en ligne le 11 mai 2020).

[7] Voir : https://mediamonitoringafrica.org/wp-content/uploads/2020/05/Covid-19-Media-Coverage-1-1-1.pdf (consulté en ligne le 13 mai 2020).

[8] Voir : http://cs2016.statssa.gov.za/wp-content/uploads/2016/07/NT-30-06-2016-RELEASE-for-CS-2016-_Statistical-releas_1-July-2016.pdf (consulté le 13 mai 2020).

[9] Voir : https://www.worldometers.info/coronavirus/?utm_campaign=homeAdvegas1? (consulté en ligne le 13 mai 2020).

[10] Ibid.

[11] Voir : https://www.avert.org/professionals/hiv-around-world/sub-saharan-africa/south-africa (consulté le 13 mai 2020).