Au Népal, de plus en plus d’organismes de la société civile et d’ONG réclament une véritable politique en faveur d’une agriculture durable et locale, inclusive, équitable et qui donne beaucoup plus de pouvoirs et de sécurité financière aux femmes, qui portent fortement sur leurs épaules le secteur agricole du pays.
Les dérèglements climatiques ont un impact destructif sur les communautés du Sud global et présentent de nombreux défis, notamment sur la santé et la sécurité des populations. La production agricole est négativement affectée par la dégradation des sols et le haut risque de catastrophes naturelles, causant une situation d’insécurité alimentaire. Les dérèglements climatiques affectent tout le monde, cependant les populations marginales sont majoritairement les plus fortement affectées et vivent des défis propres à leur statut.
Dans le contexte du Népal, il y a un flux migratoire des populations rurales quittant leur terre dans l’espoir d’une vie meilleure dans la capitale. Ces populations sont rapidement confrontées aux réalités de la pauvreté, telles que l’insécurité alimentaire et les logements insalubres, principalement dans les bidonvilles. Les autorités ont tendance à détruire ces habitations dans le but de raser cette représentation flagrante de la pauvreté en milieu urbain. Cependant, cela ne s’attaque pas à la source du problème et le scénario continue de se répéter sans cesse. Dans le cadre de mon stage, j’ai pu assister à la « South Asian Peasants Conference » qui dénonçait les entreprises multinationales et leur interférence dans l’agriculture familiale traditionnelle dans le contexte de l’Asie du Sud. Dans cet événement, les spécialistes ont établi que la façon de soulager les flux migratoires est de davantage soutenir les initiatives locales d’agriculture dans les milieux ruraux du Népal et de protéger les initiatives d’agriculture à petite échelle1.
Une autre solution proposée est de démocratiser l’agriculture urbaine sur les terres abandonnées de Katmandou; ce qui permettrait de réduire les effets de l’insécurité alimentaire et de promouvoir une alimentation saine pour les populations précaires. En effet, des études démontrent que 26 m2 (280 pi2) de jardin peuvent satisfaire la consommation nécessaire à une famille de cinq personnes, pendant un mois2. Cette activité peut également aider à combattre les dérèglements climatiques, la dépendance aux importations d’aliments, l’utilisation de pesticides et l’augmentation des prix liés à une alimentation saine. Il existe un besoin criant de reconnaître l’intersectionnalité entre l’agriculture, la santé, les dérèglements climatiques, le droit des femmes et des populations marginales.
Au Népal, les trois quarts de la population travaillent dans le secteur de l’agriculture et 80% de la main-d’œuvre est représentée par des femmes3. Bien qu’elles soient les actrices principales de ce secteur, elles gagnent en moyenne 75% du salaire des hommes pour le même travail et ont un accès limité aux ressources, à la terre, aux technologies et au pouvoir décisionnel4.
Éradiquer la pauvreté au Népal ne pourra être réalisable sans l’atteinte de l’égalité des genres. C’est pour cette raison que le pays a de nombreux programmes qui prônent l’égalité des genres, par exemple le « gender mainstreaming », ou encore le « Gender Equality and Social Inclusion Operational Guidelines » (GESI). GESI est un programme créé par le gouvernement, mis en œuvre dans toutes les sphères des projets de développements, ainsi qu’au sein des institutions et des organisations. Ce programme vise un agenda strict afin d’assister l’intégration des femmes dans les rôles de prise de décisions. Ceci a pour but de garantir des opportunités égales pour les hommes et les femmes, promouvoir l’autonomisation des femmes et éliminer la violence basée sur le genre5. De plus, le « Agriculture Sector Development Program » (ASDP) a pour mission d’encourager le secteur de l’agriculture au Népal, en plus d’augmenter la sécurité alimentaire pour les populations marginalisées. Dans ce pays, les populations marginales incluent les femmes, les Dalits, Adivasis, Janajatis, les musulmans et les personnes avec des handicaps6.
Ce programme prend en considération tous ces différents groupes et leurs besoins, en respectant une approche intersectionnelle. Le Népal est reconnu pour ses initiatives avancées et inclusives, cependant, le problème réside dans l’inefficacité de l’application de ces programmes. Le manque de cohésion entre les gouvernements et le manque d’attribution de budget adéquat signifie que les initiatives d’inclusion ne sont pas menées à terme. De plus, aucune politique ne protège réellement les initiatives d’agriculture urbaine. Les personnes qui pratiquent cette activité se retrouvent donc la plupart du temps dans une situation d’insécurité, car les terres sur lesquelles sont cultivés les aliments peuvent être reprises par le gouvernement à tout moment.
Par conséquent, le gouvernement népalais doit promouvoir les initiatives locales d’agriculture urbaine, comme le jardinage vertical, qui pourrait être une initiative intéressante afin de favoriser la sécurité alimentaire des populations marginales dans les bidonvilles. Une autre mesure importante pourrait être de lancer des programmes d’agriculture urbaine à intégrer dans les curriculums scolaires pour les jeunes, pour créer une jeunesse engagée et aider à mieux comprendre d’où provient la nourriture que l’on consomme.
La jeunesse népalaise se sent lassée par rapport à l’agriculture, qui un métier associé à une population peu éduquée. La façon de s’alimenter change également, la jeunesse se nourrissant de plus en plus à partir d’une alimentation transformée, loin de celle traditionnelle, hautement nutritive et locale. En outre, l’adoption des principes de l’économie circulaire doit être encouragée et l’agriculture extractive à grande échelle, découragée. Les savoirs traditionnels népalais permettent de cultiver la terre de manière respectueuse, sans l’utilisation de pesticides ou de produits chimiques. Cependant, les grandes multinationales qui dominent le marché adoptent plutôt des techniques destructives de la terre7. Les principes de l’économie circulaire serviraient à encourager l’utilisation efficace de toutes les matières, pour éviter le gaspillage.
L’agroécologie se base beaucoup sur l’économie circulaire et porte une attention particulière à l’autonomisation des femmes urbaines et rurales par l’agriculture8. Enfin, ce qui freine grandement la production des agricultrices en milieu urbain est le manque d’eau et plus généralement les problèmes d’irrigation. Si le gouvernement népalais pouvait instaurer des mécanismes le recueil des eaux de pluie, la population locale aurait beaucoup plus de facilité à adopter l’agriculture urbaine. Plusieurs études démontrent qu’un mécanisme de recueil de l’eau efficace avec filtration sur un toit de 9,2 m2 (100 pi2) peut accumuler jusqu’à 14 000 litres d’eau annuellement, ce qui aurait un impact non négligeable sur la récolte d’aliments frais9.
En conclusion, il y a beaucoup de potentiel pour l’agriculture urbaine à Katmandou, considérant la fertilité des terres et l’aspect traditionnel de l’agriculture urbaine. Les femmes possèdent déjà les savoirs ancestraux pour faire pousser leurs aliments de manière biologique. Il leur faut juste davantage de programmes d’aide, et plus de soutien pour les familles précaires dans les bidonvilles. L’aspect remarquable du Népal est le capital social, je crois fortement que si assez de personnes sont déterminées, cette population a le pouvoir d’entreprendre n’importe quel projet.
Notes et références
1. “South Asian Peasants Conference”, Katmandou, mars 2025.
2. Gaurab, P., & Martina, K. (2020). « Incorporating rooftop farming in urban residential household of Buddhanagar neighborhood, Kathmandu ». In Proceedings of the 8th IOE Graduate Conference (Vol. 8). https://conference.ioe.edu.np/publications/ioegc8/ioegc-8-033-80045.pdf
3. Food and Agriculture Organization. (2019). « Country gender assessment of agriculture and the rural sector in Nepal ». Récupéré de : https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/e5031810-3af7-43e9-b770-d276b9a94986/content
4. Asian Disaster Preparedness Center. (2023). Gender inclusive climate resilient agriculture in Nepal: A review of policies and practices. Climate Adaptation and Resilience (CARE) for South Asia Project. https://www.adpc.net/igo/category/ID1949/doc/2024-s84Aq1-ADPC-Nepal_Gender_Inclusive_Climate_Resilient_Agriculture_Fv.pdf
5. Government of Nepal, Ministry of Physical Infrastructure and Transport. (2017). Gender equality and social inclusion operational guidelines 2017. https://mopit.gov.np/downloadfiles/Operational%20Guidelines%20for%20Mainstreaming%20GESI%20in%20MOPIT%20English-2_1569147282.pdf
6. Government of Nepal, Ministry of Agriculture and Livestock Development. (2021). Gender equality and social inclusion (GESI) strategy and action plan. Agriculture Sector Development Programme (ASDP). https://www.asdp.gov.np/images/publication/101_ASDP-GESI%20starategy%20and%20action%20plan_final_en.pdf
7. Santosh, K. B., Suman, B., Chandan, K. C., & Arun, G. C. (2024). “Circular economy and its prospects in Nepalese agriculture”. Turkish Journal of Agriculture – Food Science and Technology, 9(1), 42–49 https://www.researchgate.net/publication/348685624_Circular_Economy_and_its_Prospects_in_Nepalese_Agriculture
8. Inter Pares. (2023). Gender equality through women-led agroecology. Inter Pares Bulletin, 50(1). https://interpares.ca/sites/default/files/resources/2518-inter_pares_bulletin_feb-23_web.pdf
9. Gaurab, P., & Martina, K. (2020). Incorporating rooftop farming in urban residential household of Buddhanagar neighborhood, Kathmandu. In Proceedings of the 8th IOE Graduate Conference (Vol. 8). https://conference.ioe.edu.np/publications/ioegc8/ioegc-8-033-80045.pdf