La santé mentale des jeunes au Népal souffre d’un système de santé publique qui ne prend pas assez conscience de l’importance de considérer ce problème comme une priorité politique. Le 17 mai 2025, Nehal Singh et Susmita Yadav ont assisté à un atelier sur ce sujet coorganisé par plusieurs associations, dont la Nepal Development Initiative (NEDI).
Cet article a été coécrit par Susmita Yadav et Nehal Singh.
Les conversations sur la santé mentale font lentement leur chemin dans la société népalaise, mais pour de nombreux jeunes, ces conversations restent un concept inhabituel. En mai dernier, dans l’esprit du Mois de la sensibilisation à la santé mentale, nous avons organisé un atelier à Katmandou plus particulièrement axé sur la santé mentale des jeunes, dans une volonté de faire tomber des barrières. Avec le soutien de l’équipe centrale de l’initiative pour la jeunesse, à savoir Ganga Bahadur Gautam (Pawan), le secrétaire général Yogesh Kaphle et le secrétaire Susmita Adhikari (Yadav), en collaboration avec la NFN (Fédération des ONG du Népal), Nepal Unites et NEDI (Initiative pour le développement du Népal), la session a rassemblé des étudiants, des travailleurs sociaux et des travailleuses sociales, des professionnel·les de la santé et des membres de la communauté pour parler ouvertement d’un sujet que beaucoup d’entre nous ont vécu, mais qu’ils n’expriment que très rarement. Le fait que le Népal peine à répondre aux besoins de sa population en matière de santé mentale n’est un secret pour personne. Le pays compte en effet moins de 66 psychiatres pour près de 30 millions d’habitants1. Si l’on ajoute à cela la stigmatisation culturelle, le manque de sensibilisation et le manque de ressources, il devient évident que les efforts locaux comme les nôtres ne sont pas seulement importants, ils sont urgents.
Nous avons conçu l’atelier de manière à ce qu’il soit accessible et interactif, et qu’il ne se limite pas à un visionnement et des lectures de diapositives Powerpoint. Le Dr Gopal Dhakal, psychiatre de renom, s’est joint à la session et a joué un rôle clé dans l’approfondissement de la conversation en aidant les participants à aborder des thèmes émotionnels et psychologiques complexes avec une plus grande compréhension. Ravi, un jeune passionné, musicien, étudiant en droit et défenseur de la santé mentale, s’est également joint à notre campagne et a insufflé de l’énergie dans la salle grâce à sa musique, offrant un moment de légèreté bien nécessaire au cours d’une discussion intense et chargée d’émotions. Au lieu de définitions cliniques, nous avons utilisé des métaphores simples : la dépression comme un brouillard épais, l’anxiété comme une alarme constante « et si… », et les dysfonctionnements psychosociaux comme un signal Wi-Fi défectueux. Les participants ont bien réagi à cette approche. Beaucoup nous ont dit que c’était la première fois qu’ils comprenaient vraiment ce que ces termes signifiaient ou qu’ils se sentaient à l’aise pour admettre qu’ils et elles se reconnaissaient dans ces métaphores et explications. Grâce au journal de la gratitude, aux discussions en petits groupes et aux jeux de rôle, nous avons créé un espace où les participant·es pouvaient être vulnérables, rire et se sentir vu·es.
Au cours de la session, nous avons mené une enquête qui nous a permis d’approfondir nos connaissances. Alors que 58 % des jeunes ont déclaré que la santé mentale était « très importante », seuls 21 % d’entre eux avaient déjà consulté un·e professionnel·le de la santé mentale. Environ 46 % des participant·es ont souffert d’anxiété, 31 % ont été confronté·es à la dépression et 17 % ont pensé au suicide à un moment ou à un autre de leur vie. Plus choquant encore, seul.es trois répondant·es sur neuf connaissaient le numéro 1166 de la ligne d’assistance népalaise en matière de santé mentale ou l’une des autres lignes d’assistance gratuites telles que celles de TPO Nepal, de l’hôpital de Patan ou de CMC Nepal. Ces chiffres confirment ce que nous soupçonnions : la prise de conscience progresse, mais l’accès et l’éducation ont encore un long chemin à parcourir2. Nos résultats reflètent également ceux de Hassan et al.,, dont la recherche qualitative sur la dépression chez les adolescent·es au Népal a révélé des schémas similaires où la stigmatisation, la pression scolaire et le manque de services retardent le comportement de recherche d’aide chez les jeunes. La concordance entre les données de notre petit atelier et leur étude universitaire plus vaste renforce l’ampleur et l’urgence de ces problèmes de santé mentale.
Lorsque nous avons examiné de plus près la manière dont les jeunes font face au stress, les données ont montré que la plupart d’entre eux et d’entre elles s’appuient sur des promenades dans la nature, la tenue d’un journal, la prière ou les discussions avec des ami·es. Seule une personne interrogée sur douze a mentionné la recherche d’une aide professionnelle. Il s’agit là de moyens valables pour gérer les émotions, mais ils ne devraient pas être les seules options, en particulier pour les jeunes qui traversent une crise. Un grand nombre de participant·es ont également déclaré qu’ils ne sauraient pas par où commencer si eux-mêmes ou un·e ami·e avaient besoin d’une aide urgente. D’autres préoccupations ont été exprimées, comme la manière d’aborder les conversations sur la santé mentale avec les parents et les grands-parents, qui ont tendance à avoir une attitude dédaigneuse à cet égard. Il est clair que si la conversation sur la santé mentale a commencé, les systèmes de soutien n’ont pas encore rattrapé leur retard.
Les récits que nous avons entendus pendant l’atelier ont donné encore plus de profondeur aux chiffres. Les étudiant·es ont parlé de la pression exercée par les examens, du poids des attentes familiales et de la culture de comparaison toxique alimentée par les médias sociaux. Beaucoup ont eu le sentiment de ne pas pouvoir parler de santé mentale à leurs parents ou à leurs aînés. Une personne a déclaré : « Il est plus facile de souffrir en silence que de m’expliquer à des gens qui ne comprendront pas. » D’autres ont dit que c’était la première fois qu’ils entendaient d’autres personnes parler de ce qu’elles ressentaient. Ces histoires partagées nous ont rappelé à quel point il est puissant de donner aux jeunes l’espace nécessaire pour parler sans crainte. Leurs réflexions font également écho à ce que Tamang et al. (2022)3 ont constaté pendant la pandémie de COVID-19 : les jeunes Népalais·es ont connu un isolement, un stress et une déconnexion émotionnelle accrus, souvent avec des moyens d’expression limités. L’honnêteté émotionnelle de notre session renforce leurs conclusions, montrant que l’impact psychosocial des attentes de la société et de la famille se poursuit bien au-delà de la pandémie.
Les participant·es n’ont pas seulement fait part de leurs problèmes, ils ont également proposé des solutions. Ils et elles souhaitent une éducation à la santé mentale dans les écoles, des programmes de conseil soutenus par le gouvernement et des plateformes en ligne sûres où ils et elles peuvent demander de l’aide de manière anonyme. Il a également été demandé que les jeunes soient associé·es à la planification et à l’élaboration des politiques. « Parlez-nous, ne parlez pas de nous », a déclaré un participant, demandant aux ONG et aux institutions d’arrêter de supposer ce dont les jeunes ont besoin et de commencer à co-créer des programmes avec elles et eux. Leurs idées reflétaient les recommandations des chercheur·es et des expert·es en santé mondiale, mais elles étaient ancrées dans l’expérience personnelle, ce qui les rendait d’autant plus percutantes. En fait, Luitel et al. (2015)4 ont souligné l’importance d’intégrer l’éducation à la santé mentale dans les programmes scolaires et les centres communautaires. Je soutiens cette approche car elle correspond parfaitement à ce que nos participant·es demandaient. Ce lien entre les voix locales et les connaissances universitaires montre que les solutions demandées par les jeunes sont valables et fondées sur des données probantes.
Nous avons également discuté des solutions numériques, et des plateformes telles que Dialogue et Headversity sont apparues comme des outils prometteurs. Ces applications offrent des conseils virtuels, un entraînement à la santé mentale et des outils pratiques pour gérer le stress, le tout du bout des doigts. Dans un pays comme le Népal, où la stigmatisation empêche encore de nombreuses personnes d’entrer dans un centre de conseil, l’accès à une plateforme numérique privée et adaptée à la culture pourrait changer la donne. Si des plateformes de ce type pouvaient être traduites et adaptées aux jeunes Népalais, elles pourraient servir de passerelle entre la prise de conscience et l’action. Associer des solutions numériques à des programmes locaux pourrait être l’une des manières les plus intelligentes d’avancer. Les ONG ont déjà préparé le terrain. Des organisations comme TPO Nepal, CMC Nepal et ECTC offrent depuis des années un soutien gratuit et confidentiel par l’intermédiaire de lignes téléphoniques et d’actions de sensibilisation en personne. Elles font un travail incroyable, mais elles manquent de fonds et ne peuvent pas atteindre tout le monde. Nos participants ont accueilli favorablement ces ressources lorsque nous les avons partagées au cours de la session, en particulier les lignes d’assistance téléphonique telles que 9847386158 ou 16600185080. Ces numéros doivent être affichés dans les écoles, aux arrêts de bus et dans les salles de classe, et pas seulement sur les sites web. Mais pour que cela se produise à grande échelle, le gouvernement doit intervenir en investissant sur le long terme.
Cela nous amène à parler du rôle du gouvernement. À l’heure actuelle, la santé mentale n’est pas considérée comme une priorité politique au Népal. Il faut que cela change. Il faut que les ministères de l’éducation ajoutent l’éducation émotionnelle aux programmes scolaires, que les ministères de la santé financent davantage de professionnel·les et que les infrastructures permettent d’amener ces services en dehors de Katmandou. L’aide étrangère peut également jouer un rôle, mais elle doit financer des systèmes durables et non des programmes ponctuels. Le Népal ne manque pas d’idées ou de motivation ; il manque de soutien structurel et de coordination. Comme l’affirment Luitel et al. (2015)5, les améliorations à long terme en matière de santé mentale nécessitent une collaboration multisectorielle entre les institutions de l’éducation, de la santé et de la communauté, soutenue par des politiques et des financements. Leurs recherches confirment exactement ce que notre atelier a révélé : lorsque les systèmes gouvernementaux investissent dans une éducation à la santé mentale intégrée et centrée sur les jeunes, les effets d’entraînement peuvent transformer à la fois la sensibilisation et l’accès. Cet atelier nous a montré qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un budget important pour faire la différence. Ce qu’il faut, c’est de l’intention, de l’inclusion et de l’empathie. En combinant des récits, un langage compréhensible et des ressources pratiques, nous avons pu établir un lien avec les jeunes en fonction de leurs besoins. Et une fois que nous l’avons fait, ils et elles se sont ouvert·es non seulement à leurs luttes, mais aussi à leurs espoirs d’un meilleur système, plus solidaire. C’est ce que le travail sur la santé mentale devrait être : d’abord la connexion, ensuite le changement.
Nous demandons instamment à tous ceux qui détiennent le pouvoir au sein du gouvernement, des ONG, des organismes donateurs, d’entendre ceci : la santé mentale des jeunes au Népal est une épidémie croissante, et il n’est pas temps de s’y attaquer demain, c’est maintenant. Ce que nous voyons n’est pas seulement une lutte individuelle, c’est un échec systémique à soutenir le bien-être émotionnel de toute une génération. Les jeunes nous ont montré qu’ils étaient prêts à parler, à diriger et à guérir, mais ils ne peuvent pas le faire seuls. Nous avons besoin de votre engagement pour financer des programmes, réformer des politiques et soutenir des efforts locaux qui rendent le soutien à la santé mentale visible, accessible et équitable. Ce mouvement ne s’arrête pas à un atelier, il commence là. Puisqu’un grand pouvoir s’accompagne d’une grande responsabilité, pouvons-nous l’utiliser pour créer des conditions propices à l’épanouissement des autres ?
Notes et références
1. Singh R, Gupta AK, Singh B, Basnet P, Arafat SMY. (2022). « History of psychiatry in Nepal ». The British Journal of Psychiatry Int. doi: 10.1192/bji.2021.51.
2. Hassan, E., Prakash, B., Magar, J., & Luitel, N. P. (2022). « Retrieved from Community perspectives on the implementation of a group psychological intervention for adolescents with depression: A qualitative study in rural Nepal ». Front. Psychiatry. 10.3389/fpsyt.2022.949251
3. Tamang, D. M., Khadka, D. D., Poudel, D. J., Khatri, D. M., & Chemjong, D. D. (2022). « Psychosocial Impact of COVID-19 and Related Policy Provisions in Nepal ». Policy Research Institutue. https://kms.pri.gov.np/dams/pages/download_progress.php?ref=23197&size=&ext=pdf&k=1e7b01627a
4. Luitel, N. P., Jordans, M. J., Adhikari, A., Upadhaya, N., Hanlon, C., Lund, C., & Komproe, I. (2015). Mental health care in Nepal: current situation and challenges for development of a district mental health care plan. Conflict and Health 9, 3. https://conflictandhealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13031-014-0030-5
5. ibid.