Avec près de 9 % des forêts mondiales et un engagement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, les décideurs politiques fédéraux louent souvent la transition « rapide » du Canada vers une économie plus durable. Pourtant, sous la façade d’océans bleus immaculés et de forêts de conifères imposants se cache une réalité beaucoup plus sombre : l’extraction non durable des ressources naturelles.
Au Canada, les répercussions négatives des projets extractifs touchent de façon disproportionnée les communautés autochtones, car ces projets sont souvent construits sur ou à proximité de leurs terres. Ce phénomène ne se limite pas aux frontières canadiennes : les sociétés minières canadiennes reproduisent ces inégalités partout dans le monde. En effet, l’exploitation minière est un pilier central de la stratégie canadienne en matière d’investissements étrangers et, en 2023, les actifs miniers canadiens à l’étranger totalisaient 220,4 milliards de dollars.

Nulle part ailleurs l’impact n’est plus ressenti qu’au Guatemala
Avec seulement 108 889 km², soit environ 14 fois inférieur à la superficie du Québec, le Guatemala peut sembler un épicentre improbable pour l’extraction minière à grande échelle. Pourtant, malgré sa petite taille, les sociétés minières canadiennes, principalement spécialisées dans l’or, l’argent, le cuivre et le nickel, continuent d’y établir des exploitations à ciel ouvert et souterraines. En 2023, les actifs miniers canadiens au Guatemala totalisaient 446 millions de dollars, un niveau d’investissement rendu possible par des politiques mises en place par le gouvernement guatémaltèque plusieurs décennies auparavant.
De 1960 à 1996, le Guatemala a subi une guerre civile brutale durant laquelle le gouvernement a perpétré des massacres et un génocide à grande échelle contre les populations autochtones mayas. Après la guerre, le Guatemala a signé les Accords de paix de 1996, qui ont instauré une plus grande stabilité macro et microéconomique et suscité un nouvel espoir d’un avenir meilleur. Cependant, cette stabilité s’est accompagnée d’une mise en œuvre rapide de réformes néolibérales visant à attirer les investissements étrangers.
Une mesure clé de cette époque fut la loi minière de 1997, qui a considérablement réduit les redevances minières, ouvert le Guatemala aux entreprises étrangères et accordé aux sociétés un accès à grande échelle à l’eau douce. Aujourd’hui encore, les politiques mises en place à cette époque continuent de faire du Guatemala une destination prisée des entreprises étrangères, son attrait résidant dans ses faibles redevances et sa fiscalité avantageuse, ce qui en fait en sorte que les profits restent à l’étranger.
Des promesses de développement local qui ne profitent pas aux communautés et une violence inhérente à l’extractivisme minier
Les compagnies minières canadiennes, ainsi que leurs parties prenantes et leurs promoteurs, promettent souvent d’apporter des opportunités économiques et du développement aux communautés locales ; ces entités étrangères affirment que les investissements étrangers favorisent l’augmentation des revenus, l’amélioration des infrastructures, la formation professionnelle et la croissance économique. Cependant, les maigres retombées économiques que le Guatemala retire de ces projets sont, trop souvent, accaparées par les responsables gouvernementaux et une élite restreinte.
Pendant ce temps, les communautés qui ont vu les compagnies minières creuser toujours plus profondément sur leurs terres n’en perçoivent jamais les bénéfices. La mine canadienne la plus tristement célèbre est le projet Cerro Blanco, une mine d’or et d’argent à ciel ouvert initialement développée par la société canadienne d’exploration de métaux précieux Bluestone Resources. Ce projet a été accusé d’avoir contaminé les cours d’eau et les sols locaux avec de l’arsenic et d’autres produits chimiques toxiques. La rivière transfrontalière Lempa est la plus touchée, et les quatre millions de personnes qui dépendent de cette rivière ont vu leurs terres empoisonnées et la santé de leurs familles et de leurs communautés se détériorer.
Les communautés autochtones du Guatemala sont déjà confrontées à un racisme structurel, notamment à travers l’expropriation de leurs terres, le manque d’infrastructures et la marginalisation de leurs langues et cultures. L’exploitation minière a exacerbé ces problèmes et alimenté une autre crise : l’intensification des conflits sociaux. Les leaders et militants communautaires sont constamment persécutés et, en 2016, 12 membres de la communauté avaient été tués et 89 blessés dans des conflits liés aux activités minières. Aujourd’hui, près de dix ans plus tard, ce bilan est probablement plus lourd, d’autant plus que les investisseurs étrangers sous-estiment souvent les conflits sociaux. Par ailleurs, la destruction de l’environnement et l’absence de retombées économiques ont contraint de nombreux habitants à migrer vers d’autres communautés et pays.
En réponse à ces inégalités sociales et environnementales, les communautés autochtones de tout le pays ont mobilisé des mouvements de résistance.
L’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exige que :
« Les États doivent consulter et coopérer de bonne foi avec les peuples autochtones concernés par l’intermédiaire de leurs institutions représentatives afin d’obtenir leur consentement libre et éclairé avant l’approbation de tout projet affectant leurs terres, leurs territoires et leurs autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres. »
Par conséquent, les nombreuses compagnies minières qui exploitent actuellement des terres indigènes à travers le Guatemala sans consultation appropriée violent ce droit.
En 2022, Asunción Mita, une municipalité de 50 000 habitants située dans le sud-est du Guatemala, a organisé un référendum historique contre le projet d’exploitation aurifère de Cerro Blanco. Le Colectivo MadreSelva, une organisation environnementale, a collaboré avec la communauté et la municipalité voisine de Santa Catarina Mita pour mener une consultation publique sur ce projet, vendu depuis 2007 à plusieurs sociétés transnationales, dont Goldcorp et Bluestone Resources. La communauté a engagé des actions en justice contre le projet auprès d’institutions étatiques telles que le ministère de l’Environnement, ainsi que contre les institutions financières impliquées dans des projets extractifs. Lors du référendum, 88 % des votants de la communauté se sont prononcés contre la mine, une victoire historique.

Suite à l’activisme et à la mobilisation populaire, le permis d’exploitation minière de Cerro Blanco, initialement accordé pour 25 ans, a été suspendu en juin 2024.
Cependant, cette bonne nouvelle pour la communauté fut de courte durée. Début 2025, la mine fut vendue à Aura Minerals, une autre entreprise canadienne. Au lieu d’arrêter la production, le projet a été rebaptisé « Era Dorada » et des plans d’expansion sont actuellement en cours.
