Fin novembre 2025, le cyclone Ditwah a frappé le Sri Lanka, faisant au moins 500 morts et des centaines de disparus. Les glissements de terrain et les fortes inondations ont causé la plupart des décès et des dégâts, les régions les plus touchées étant celles de Kandy, Nuwara Eliya et Badulla, situées dans les collines de l’intérieur des terres. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées en raison de la montée des eaux ou de la perte de leur maison, et plus d’un million de personnes ont été directement touchées par les inondations généralisées.
Ditwah faisait partie d’une chaîne de cyclones et de puissantes dépressions s’étendant de la mer de Chine méridionale au détroit de Malacca et au golfe du Bengale, qui a provoqué une semaine de catastrophes ayant coûté la vie à plus de 1 800 personnes en Asie du Sud et du Sud-Est.
Par chance, je vivais et travaillais à Negombo, au Sri Lanka, à l’époque, avec le National Fisheries Solidarity Movement (NAFSO), une ONG locale qui défend les droits des communautés de pêcheurs. Negombo est une ville côtière située à une heure au nord de la capitale Colombo, qui abrite le principal aéroport international du pays et un lagon luxuriant avec une industrie de la pêche très dynamique. Elle est également construite entre deux fleuves est-ouest, avec un canal qui les traverse du nord au sud, un détail important, comme j’allais le découvrir plus tard.
Les précipitations ont commencé le week-end du 22 novembre, alors que nous étions dans la ville côtière orientale de Batticaloa pour une cérémonie. Il s’agissait au départ d’une pluie fine mais constante qui n’a pas vraiment gâché les festivités, mais qui a rendu glissante la route de 8 heures qui nous ramenait à Negombo pendant la nuit. Nous avons passé le reste de la semaine à consulter nerveusement les bulletins météo, car nous avions appris que des inondations avaient touché Batticaloa, deux jours seulement après notre retour au bureau. Les commentaires sur le subreddit Sri Lanka faisaient état d’un système dépressionnaire se formant au large des côtes, alors que les médias rapportaient des inondations massives dévastant Hat Yai, dans le sud de la Thaïlande. Google Weather avertissait de risques d’inondations dans tout le pays, ce qui me semblait regrettable, mais probablement isolé. Nous sommes allés travailler comme d’habitude mardi et mercredi.
Jeudi soir, ma collègue Mackenzie et moi nous sommes préparé·es à affronter ce qui semblait être une violente tempête, baptisée « Cyclone 5 » sur Windy.com, mais pour laquelle le gouvernement, l’ambassade du Canada et les médias n’avaient donné que très peu d’alertes. La pluie s’est intensifiée pendant la nuit, martelant les toits, et je me souviens avoir envoyé un SMS à Mackenzie pour lui dire que l’allée commençait à être inondée.
Vendredi matin, tout le quartier autour de notre maison était inondé, il n’y avait plus d’électricité et les SMS de nos collègues locaux restaient sans réponse. À ce moment-là, la tempête avait été baptisée Ditwah, avec des avertissements de fortes inondations et des rumeurs de glissements de terrain ailleurs. Nous ne pouvions pas quitter la maison et aucun tuktuk n’était disponible pour nous emmener au travail. Puis, nous avons reçu quelques SMS et appels de collègues et voisins locaux : ne quittez pas la maison, ce n’est pas sûr, restez chez vous et reposez-vous. Message reçu. Nous sommes resté·es chez nous.
Le courant est revenu puis a été coupé par intermittence tout au long de la nuit de vendredi, et nous avons réalisé samedi matin que nous n’avions plus rien à manger. Mais la pluie avait cessé, nous avons donc pu commencer à évaluer les dégâts. Notre quartier de Katuwapitiya, où se trouve l’église Saint-Sébastien, bombardée lors des attentats de Pâques 2019, a eu la chance d’être épargné par la tempête. Certains arbres étaient tombés, les routes étaient inondées, mais la plupart des maisons semblaient avoir été épargnées. Après avoir attaché des sacs poubelles à nos pieds avec des élastiques, Mackenzie et moi avons pataugé dans une eau qui nous arrivait aux mollets pour rejoindre un terrain plus sec, saluant au passage nos voisins perplexes. Tout le monde semblait évaluer les dégâts et commencer à nettoyer, certaines cours étant encore recouvertes d’eau et d’autres semblant épargnées grâce aux différences de hauteur.
Nous sommes arrivé·es dans une épicerie voisine, déjà bondée alors qu’elle venait tout juste d’ouvrir. Il n’y avait bien sûr plus de produits frais, mais nous avons réussi à trouver des saucisses et des légumes surgelés ainsi que des bouteilles d’eau. La plupart des rayons étaient à moitié vides, et nous avions entendu dire que des centaines de personnes faisaient la queue devant les grands supermarchés situés sur la route principale pour s’approvisionner. De toute évidence, tout le monde avait eu la même idée de faire des provisions, même si une grande partie de la ville était encore inondée.
En parcourant le groupe Facebook public de Negombo et le site FloodSupport.org – ce dernier ayant été créé par un entrepreneur technologique sri-lankais afin de coordonner les interventions d’urgence participatives à travers le pays –, j’ai pu voir à quel point le reste de la région avait été touché. À seulement dix minutes à pied au nord de chez nous, près de la salle de sport où je me rendais plusieurs fois par semaine, les eaux avaient atteint la hauteur du cou, inondant les bâtiments et coupant le quartier de tout approvisionnement alimentaire et de toute aide humanitaire. Plus au nord encore, près de la rivière Maha Oya, elles avaient même atteint le deuxième étage des bâtiments.
La moitié de l’équipe NAFSO du bureau de Negombo était injoignable, probablement à cause de coupures d’électricité ou d’inondations. J’ai appris par la suite que celles et ceux qui vivaient plus au nord, près de la ville de Chilaw, avaient été complètement coupé·es du reste du pays, les canaux et les réservoirs ayant débordé et leurs maisons étant inondées. Les bateaux étaient rares, ce qui est ironique pour une région de pêcheurs, mais compréhensible car les rives de la lagune étaient impraticables. La seule solution était donc d’attendre que les eaux se retirent.
Cette nuit-là, nous avons de nouveau subi une coupure de courant, causée cette fois-ci par un problème dans le câblage électrique de notre maison. J’ai appelé un voisin à l’aide, qui m’a répondu qu’il allait appeler la compagnie d’électricité nationale pour qu’elle vienne réparer. Au même moment, nous avons reçu une livraison d’eau et de nourriture d’urgence, gracieusement offerte par un collègue local qui disposait d’une voiture capable de traverser les eaux de crue. La capacité limitée du gouvernement à réagir, associée à des cas plus prioritaires dans les régions montagneuses de l’intérieur du pays ravagées par les glissements de terrain, a fait que la majeure partie des interventions d’urgence a été coordonnée et réalisée par des bénévoles qui ont traversé à pied les rues inondées et risqué leur vie autour des infrastructures endommagées.
Nous avons réparé nous-mêmes l’électricité dimanche matin, et à ce moment-là, l’eau à proximité avait suffisamment séché pour que nous puissions sortir afin de trouver un café avec accès wifi et acheter quelques provisions supplémentaires pour remplir le réfrigérateur. Toute la ville semblait occupée à nettoyer et à évaluer les dégâts ; la route principale est-ouest, juste au nord de notre quartier, avait été gravement touchée, et même en la parcourant en voiture, je pouvais voir des torrents d’eau s’engouffrer dans les fossés de drainage semi-couverts, presque au niveau de la route. Cela nous a brutalement rappelé ce que nous avions évité de justesse, à l’abri dans notre maison légèrement surélevée. D’autres n’avaient clairement pas eu cette chance.
Notre chauffeur de tuktuk nous a dit que c’était la pire tempête depuis plus de dix ans et que tout ce qui se trouvait au nord de Negombo était encore complètement isolé. Les ponts s’étaient effondrés, l’électricité était coupée et la nourriture venait à manquer.
Nous sommes arrivé·es au bureau lundi et avons salué quelques collègues locaux qui s’étaient réuni·es pour mettre en place un plan d’aide aux collègues les plus touché·es par la tempête. Comme le reste du pays, la NAFSO a été prise au dépourvu par le cyclone Ditwah, et ses fonds d’urgence se sont très vite épuisés alors qu’elle s’efforçait de distribuer l’aide aux bureaux de district de l’île. Nous nous sommes mis au travail pour préparer des documents de collecte de fonds destinés aux donateurs étrangers, documenter les dégâts causés au Sri Lanka et faire le point sur ce qui avait fonctionné et ce qui n’avait pas fonctionné en matière de mesures de gestion des catastrophes.
Les images provenant du centre du pays montraient des voies ferrées détruites, des villages entiers recouverts de débris provenant de glissements de terrain et des familles désespérées à la recherche d’eau potable et de nourriture. Des collectes de dons ont vu le jour un peu partout, certaines légitimes, d’autres plus douteuses. J’ai fait un don via PickMe, un concurrent local d’Uber qui semblait être en partenariat légitime avec des organisations caritatives locales. Le nombre de morts n’a cessé d’augmenter à mesure que les équipes de secours atteignaient les communautés touchées.
Pour un pays qui a souffert d’une guerre civile qui a duré plusieurs décennies, d’un tsunami dévastateur en 2004, d’une attaque terroriste massive, de la COVID-19 et d’un effondrement financier total, Ditwah a été un rappel désagréable que le changement climatique et la nature peuvent facilement anéantir en un seul jour des années de progrès et de reprise. Le Sri Lanka dépend fortement du tourisme et du commerce pour sa croissance économique, et cette catastrophe a porté un coup dur à ces deux secteurs. La saison touristique de cet hiver sera probablement morose, car l’accès aux sites populaires de Kandy et d’Ella reste perturbé jusqu’à ce que les voies ferrées puissent être réparées, et tout développement économique récent sera annulé par des milliards de dollars de dommages.
J’ai la chance de pouvoir affirmer avoir survécu à une catastrophe naturelle en restant principalement chez moi [dans un certain inconfort et souvent dans le noir] pendant un week-end, mais le Sri Lanka dans son ensemble aura besoin de plusieurs mois pour se reconstruire et se remettre. Nous ne pouvons qu’espérer que le pays se reconstruira plus fort et plus résilient face à la crise climatique actuelle, et pour cela, il aura besoin de l’aide du reste de la planète.
Le gouvernement sri-lankais accepte les dons sur le site https://donate.gov.lk/
