Au Guatemala, la communauté Maya Poqoman de Santa Cruz Chinautla est victime de la contamination massive de plusieurs rivières situées en aval de la capitale Guatemala City. En cause, les déchets issus de la métropole, les mauvaises pratiques et les activités extractives du pays.
Durant le mois de septembre à chaque année, Guatemala City se transforme en un centre animé où se déroulent des festivités patriotiques. La musique marimba résonne dans tous les foyers de la métropole guatémaltèque, les arômes des délicieux plats traditionnels tels que les tamales, le pepián et les shucos se dispersent dans l’air de la ville, des fanfares rythmées peuvent s’entendre à des kilomètres, et les citoyens arborent fièrement les couleurs bleu et blanc de leur drapeau national.
Néanmoins, les traditions patriotiques les plus remarquables semblent tourner autour de l’Antorcha de la Independencia. Durant les jours précédant le 15 septembre, jour de la fête de l’indépendance, on voit des élèves constamment courir avec des torches enflammées dans les rues de Guatemala City en direction de la Plaza del Obelisco, où se trouve un pilier monumental avec un sommet pyramidal qui commémore l’indépendance du Guatemala vis-à-vis de l’Espagne en 1821.
La tradition consistant à transmettre le « feu de l’indépendance » à l’Obelisco depuis différentes régions du pays symbolise la diffusion de la nouvelle de l’indépendance acquise qui a commencé dans la Capitainerie générale du Guatemala avant d’atteindre les autres États de l’empire espagnol de l’époque. Selon l’historien Walter Gutiérrez, le feu provenant des torches représente le début d’une nouvelle réalité, puisque le feu est souvent considéré comme un élément purificateur.
Alors que des groupes d’étudiant∙es enthousiastes parcourent les principales avenues de la ville, une foule se forme souvent pour les asperger d’eau. Cette pratique coutumière consiste à jeter des bouteilles et des sacs en plastique d’eau sur les coureurs et les coureuses. Selon la municipalité du Guatemala, entre 600 et 700 tonnes de déchets ont été collectées dans les 22 zones de la capitale pendant les festivités des 14 et 15 septembre 2025.
Bien que le fait d’arroser les gens d’eau avec enthousiasme soit devenu une tradition patriotique ludique, beaucoup s’inquiètent sérieusement de la manière dont cette coutume contribue à la contamination des rivières du pays, ainsi qu’au déplacement forcé et à la mise en danger des communautés autochtones qui en résultent. En effet, les eaux de la Rivière de Chinautla, qui convergent dans la Mer des Caraïbes, recueillent les deux tiers des déchets de Guatemala City. Cette rivière se trouve à seulement dix kilomètres au nord de la capitale et abrite la communauté Maya Poqoman de Santa Cruz Chinautla. Leur patrimoine culturel, leur santé et leurs possibilités de revenus sont actuellement menacés par la contamination extrême de la rivière.
En effet, la poterie en argile est l’une des principales sources de revenus depuis des générations à Santa Cruz ; les femmes Poqoman utilisent de l’argile rouge, noire et blanche extraite de la Rivière de Chinautla et des collines sablonneuses environnantes pour fabriquer leurs objets artisanaux. Cependant, pouvoir pratiquer leur forme traditionnelle de poterie devient de plus en plus difficile en raison de la pollution de la rivière. Non seulement les déchets de la capitale contribuent à sa contamination, mais aussi les activités extractives nocives qui ont lieu dans la région. Selon le Ministerio de Energía y Minas (MEM), Chinautla est l‘une des municipalités avec le plus d’extraction de pierres de construction et de sable au Guatemala.
La communauté de Santa Cruz a commencé à souffrir de problèmes respiratoires en raison de la quantité importante de poussière générée par l’extractivisme à grande échelle. Les maisons de la région se fissurent à cause des secousses issues des engins lourds des entreprises extractivistes. De plus, la qualité de la boue utilisée pour créer de l’argile a considérablement diminué, compromettant les moyens de subsistance du peuple Poqoman. Plus important encore, la Rivière de Chinautla, ainsi que les autres rivières environnantes, contiennent des niveaux élevés de matières fécales comprenant du E. coli. Cela génère une multitude de bactéries différentes qui peuvent causer divers problèmes de santé, notamment des maladies gastro-intestinales, des risques pour les personnes souffrant de problèmes cardiaques, et même la mort par diarrhée hémorragique.
Ce niveau élevé de bactéries présentes dans cette vaste étendue d’eau semble être dû à la négligence institutionnelle du gouvernement guatémaltèque. En effet, selon l’Integrated Environmental Management of the Motagua River Basin Project, 88.32 % des décharges du Guatemala sont illégales. Ces décharges sont susceptibles d’être emportées par les eaux, car elles sont souvent situées à proximité de ruisseaux, ce qui augmente le risque que les ordures se retrouvent dans les rivières. Les déchets solides et les eaux usées ne sont donc pas éliminés correctement en raison de l’absence de réglementation municipale.
Bien que les célébrations de la fête de l’indépendance à Guatemala City reposent sur des traditions culturelles transmises par les générations précédentes, il est néanmoins important de se demander si le 15 septembre célèbre réellement l’indépendance de tous et toutes les Guatémaltèques ?
Des milliers de personnes, principalement issues des populations autochtones, continuent d’être opprimées par les impacts environnementaux négatifs causés non seulement par les pratiques festives, mais aussi par la consommation quotidienne des citoyen∙nes, et surtout, par l’extractivisme qui sévit dans la région.
