Soutien aux femmes journalistes et de la société civile dans la lutte contre la violence sexuelle et sexiste au Moyen-Orient

© Alex Bédard

Description

Dans de nombreux pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), la violence persistante et les séquelles de conflits passés ont pris le pas sur le processus de démocratisation et interrompu les efforts visant à promouvoir les droits fondamentaux des femmes et l’égalité des sexes. En outre, les conflits armés et leurs conséquences ont contribué à l’augmentation des niveaux de violences sexuelles et sexistes (VSS).

Femmes journalistes, défenseures des droits humains et autres actrices de société civile à travers la région utilisent de façon croissante les technologies numériques comme des outils pour promouvoir la parole des groupes marginalisés. Or, elles font face à des obstacles importants en matière de liberté d’expression et de sécurité en ligne, qui constituent de puissants éléments de dissuasion à la couverture média des violences sexuelles et sexistes, les cas de violence pouvant de fait rester largement réduit au silence. Par ailleurs, les nouvelles technologies ont renforcé la vulnérabilité des femmes journalistes et autres défenseures des droits humains en accroissant les risques encourus, les abus sous forme de discrimination ou de harcèlement étant plus fréquents en ligne. Si les journalistes et défenseures des droits humains ne peuvent pas naviguer et opérer en toute sécurité dans les espaces numériques, leur contribution à la sensibilisation et la remise en question des tabous et des normes sociales néfastes devient elle-même marginalisée.

Afin d’encourager les médias et les acteurs de la société civile à s’engager davantage dans la lutte contre la violence sexuelle et sexiste en Irak, en Jordanie, au Liban et au Soudan, ce projet cible principalement les femmes journalistes, les défenseures des droits humains et les journalistes citoyennes. Grâce à une formation à des utilisations novatrices des technologies de cryptage et à des techniques en cybersécurité, elles gagnent les compétences nécessaires pour lutter contre la violence sexuelle et sexiste par la diffusion en ligne d’informations de qualité et éthiques. Elles sont aussi plus à même de devenir les moteurs du changement, remettant en question les perceptions communes concernant la violence sexuelle et sexiste, y compris ce qui empêche les survivantes de signaler les actes de violence sexuelle et sexiste qu’elles ont subies. L’élimination de ces tabous et la visibilité de ces questions permettront d’autonomiser les femmes et de les sensibiliser davantage à leurs droits. L’implication des hommes et d’autres parties prenantes secondaires dans ce processus permet un engagement plus efficace aux niveaux national et international pour prévenir l’apparition d’autres violences sexuelles et sexistes.

L’objectif principal du projet est d’accroître la sécurité et la protection des droits des femmes et des filles en Irak, en Jordanie, au Liban et au Soudan d’ici 2020. Cet objectif sera atteint grâce à l’amélioration de la qualité et de l’éthique des reportages des journalistes et des défenseures des droits humains sur les incidences de la violence sexuelle et sexiste, et à un engagement accru des médias et de la société civile dans la réponse aux situations critiques de violence sexuelle et sexiste dans les pays cibles. Le renforcement de la capacité des femmes journalistes et des défenseures des droits humains à réaliser leurs reportages de manière efficace et sûre avec le soutien de leurs homologues masculins aidera à autonomiser d’autres femmes et filles. Enfin, ce projet vise à améliorer la position des femmes et des filles dans la société, directement et indirectement, en promouvant l’égalité et l’équité entre les sexes et en contribuant à réduire la violence sexuelle et sexiste. Le projet cible au moins 200 femmes journalistes d’Irak, de Jordanie, du Liban et du Soudan, y compris des défenseures des droits humains qui utilisent d’autres formes de médias pour promouvoir les droits des filles et des femmes. Bien que le projet soit centré sur les liens directs avec ces actrices, il cible également 75 hommes journalistes et autres personnes travaillant dans le secteur des médias pour les aider à comprendre les défis auxquels sont confrontées les femmes, telle que la discrimination sexuelle sur le lieu de travail. Les consultations touchent environ 48 médias et groupes de la société civile afin de les impliquer plus activement dans les efforts de stabilisation et de reconstruction pour les victimes de la violence sexuelle et sexiste.

Alternatives est responsable de la gestion globale et de la coordination du projet et travaille également avec des organisations partenaires établies dans chaque pays qui mènent l’effort de consultation locale sur les projets. L’Iraqi Women Journalist Forum (IWJF – Forum Irakien des Femmes Journalistes) est l’organisation partenaire en Iraq. Elle a été créée en 2011 en tant qu’organisation non gouvernementale de la société civile s’intéressant aux femmes dans les médias et à la défense des droits des femmes et des droits humains. Le principal partenaire au Soudan est le Centre de service de presse Alalag qui a été fondé par des femmes journalistes en 2007. Ses principales préoccupations sont axées sur le renforcement des capacités des femmes journalistes et des femmes dans les zones communautaires afin d’améliorer leurs compétences en matière de droits humains et de perspectives sexospécifiques. La Fondation arabe pour la liberté et l’égalité (AFE) a été créée au Liban avec pour mission d’encourager et de soutenir les mouvements en faveur de la sexualité, du genre et des droits corporels au Moyen-Orient et en Afrique du Nord par le renforcement des capacités, la production et l’échange de connaissances et par des mesures de sécurité. Le partenaire en Jordanie est le Centre des médias des femmes arabes (AWMC) qui est une organisation non gouvernementale dont la mission est d’éradiquer toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles et encourager un changement d’attitude et de comportement envers l’égalité femmes-hommes. L’AWMC oeuvre dans le domaine de la violence domestique, de la jeunesse et des droits des femmes, mais aussi en matière d’éducation à la démocratie pour l’instauration de la liberté des médias et d’une déontologie du journalisme.

Le projet comporte les principales activités suivantes :

1. Mission de démarrage du projet (10 au 13 mai 2018)

La mission de lancement du projet s’est tenue à Beyrouth. L’objectif de cette réunion était de discuter du plan de mise en oeuvre du projet avec les coordonnatrices des organisations partenaires au Liban, en Jordanie, en Irak et au Soudan. La première journée a été consacrée à des ateliers sur le contexte de la violence contre les femmes journalistes dans la région et les problèmes qu’elles rencontrent dans leur pratique professionnelle. Parmi les préoccupations communes aux quatre pays visés, on peut citer les cyberattaques, le piratage informatique, le harcèlement en ligne qui visent les organes de presse et plus spécifiquement les femmes journalistes, la nécessité de changements au plan législatif pour combattre la violence sexospécifique, notamment en ce qui a trait au harcèlement et à la violence domestique, et la nécessité d’établir et de renforcer les réseaux de soutien et des relais d’information entre les pays de la région.

2. Formations :

2.1 Développement des TOT (« Training of Trainers », formation de formateurs)

2.1.1 Séminaire régional sur la cybersécurité (Amman, 26 au 30 juin 2018)

Cette formation regroupait 20 journalistes de Jordanie, du Liban, du Soudan et d’Irak. Les thèmes abordés portaient sur les techniques de cybersécurité et la protection des données, la création de mots de passe sécurisés, la navigation sécurisée sur Internet, de même que les logiciels de cryptage de données pour protéger les communications par messagerie. Les participant·es ont été formés pour dispenser à leur tour l’enseignement dans leurs pays respectifs et adapter les contenus pour leur diffusion dans différents contextes.

2.1.2 Séminaire régional sur la couverture journalistique de la violence fondée sur le genre (Amman, 19 au 22 novembre 2018)

Un groupe de 16 journalistes ont participé à cette formation portant sur l’amélioration de la couverture journalistique sur la violence sexiste et sexuelle. Le séminaire était animé par Myra Abdhala, de l’organisation partenaire libanaise et bien connue dans le domaine du genre et des médias. Les enseignements ont permis de dégager de meilleurs outils et des stratégies d’action, tant d’un point de vue théorique que pratique. Ainsi, un code d’éthique a été élaboré afin d’améliorer la couverture médiatique portant sur les questions de genre.

2.2 Ateliers nationaux

2.2.1 Ateliers nationaux sur la sécurité numérique

Le contenu de la formation, adapté à chaque pays, a porté sur le développement d’outils pour améliorer la sécurité des journalistes et des défenseures des droits humains dans le cadre de leur travail, basé sur les enseignements reçus lors de la formation de formateurs au plan régional. Les ateliers nationaux de formation ont rejoint environ 340 personnes.

2.2.2 Ateliers nationaux sur l’utilisation plus efficace des médias pour la recherche, la documentation et la couverture de la violence sexiste

Le contenu de la formation reçue au plan régional a été adapté pour sa diffusion dans chacun des pays dans lesquels le projet est développé. Ces ateliers visaient à développer des outils pour améliorer la couverture journalistique de la violence fondée sur le genre en fournissant un contenu adapté à chaque pays. Environ personnes ont été formées.

3. Articulation régionale pour renforcer l’action collective

 

3.1 La création d’un réseau

L’une des principales préoccupations relevées par les organisations partenaires porte sur l’absence d’informations sur l’ampleur de la violence à l’égard des femmes journalistes dans la région. Ainsi, afin d’y répondre, la première formation régionale a été l’occasion de créer un réseau pour développer des outils de collecte de données et avoir accès à des informations sur le problème de la violence sexospécifique touchant les femmes journalistes et défenseures des droits humains. Le réseau est constitué des organisations partenaires dans chacun des pays d’intervention.

Le réseau est appelé à échanger des expériences, consolider des communautés de pratiques liées à la liberté d’expression en ligne et hors ligne et travaillera sur une stratégie de documentation et de dénonciation de la violence contre les femmes journalistes dans chacun des pays.

Grâce à cette mise en réseau, une conférence régionale sur le sujet a été organisée, au cours de laquelle les priorités des futurs travaux sur le sujet dans la région ont été définies. Le noyau du réseau s’est élargi à membres permanents du Yémen, de la Cisjordanie et de l’Égypte. L’idée d’un processus de suivi régional de documentation des incidences de violence a été consolidée. Aussi, la création d’un observatoire sur les violations des droits de femmes journalistes sera un projet autour duquel se mobilisera et s’articulera le travail de ce réseau.

 3.2 Conférence régionale (17 et 18 novembre 2018)

La conférence sur les violations de droits humains et les violences faites aux femmes journalistes dans le monde arabe (Fifteenth Arab Women Media Conference : Women Journalists between Freedom and Violence) tenue à Amman a rejoint des femmes journalistes de 12 pays, totalisant une centaine de participant·es et rejoignant des organisations de femmes et des personnalités du journalisme de la région. La conférence a permis de lancer officiellement le réseau de lutte contre la violence à l’égard des femmes journalistes pour progresser dans la construction des connaissances sur la violence qui affecte les femmes journalistes et les défenseures des droits humains.

Voici quelques-unes des recommandations principales sur lesquelles les délégué·es se sont entendues :

  • Surveiller, documenter et identifier les violations commises contre les femmes journalistes et créer un environnement sûr pour la réalisation de leur travail ;
  • Former les institutions d’information et de presse pour qu’elles adoptent des politiques et procédures visant à créer des environnements sûrs ;
  • Harmoniser les lois de la région et qu’elles respectent les conventions internationales existantes pour garantir la liberté d’expression ;
  • Soutenir les processus permettant de recevoir les plaintes relatives aux violations ainsi que ceux qui permettront de leur donner suite.

3.3 Des outils web

Un site web sert d’espace de discussion et de coopératiom sécurisé entre les membres du réseau et les participant·es formé·es au cours du projet afin de lutter contre la violence sexiste et sexuelle.

Également, un questionnaire sur les violences sexuelles et sexistes, diffusé via le site web sécurisé, a été développé pour la collecte de données. Ces données concernent la violence vécue et percue dans le cadre professionnel, tel le harcèlement, et des informations spécifiques sur les femmes journalistes, afin de produire un portrait plus clair et étendu de l’incidence et les particularités de ce type de violence dans la région.

 

Finalement, le réseau considère le développement d’un outil de signalement anonyme en ligne et de soutien aux victimes qui puisse permettre également la collecte de données pour la production de rapports annuels sur la situation des femmes journalistes dans la région.

4. L’élaboration de recommandations dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU)

 

En novembre 2018, une formation d’une durée de 5 jours s’est déroulée pour les femmes journalistes sur la contribution et le champ d’intervention des ONG dans l’élaboration de rapports spéciaux (connus sous le nom de «rapports alternatifs») dans le système de protection des droits humains des Nations unies, sur les questions relatives à la protection des femmes journalistes et à la liberté d’expression.

Pour la première fois, des organisations de femmes journalistes ont fait des recommandations spécifiques à leur situation. Dans le cas du Soudan, Al Alag a participé à la discussion finale sur les recommandations à Genève. L’Irak a participé au premier cycle de discussions, la Jordanie et le Liban ont formulé des recommandations établi un plan d’action pour participer aux prochains cycles.  

5. Mission à Amman (25 au 27 mars 2019)

La mission a porté sur le bilan du projet. Durant la rencontre, chaque partenaire a fait un exposé présentant les impacts du projet jusqu’à maintenant et ont également partagé leurs perceptions quant aux questions d’égalité des genres dans leurs pays respectifs et les défis de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. La rencontre a également portée sur le fonctionnement du réseau qui a été créé, les enseignements tirés et les bonnes pratiques dans l’exécution du projet.

 

 

Impacts de ce projet